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J’étais bien jeune quand le malheur m’atteignit, je n’avais pas vingt-deux ans. Je rêvais à l’avenir, je me le représentais sous les couleurs les plus riantes. Cela me donnait de l’énergie et me soutenait dans mes moments pénibles ; j’en ai eu beaucoup à passer, même avant mon emprisonnement. Tout à coup, tout ce qui me rattachait si fortement à la vie, ce qui me la faisait aimer avec passion fut brisé pour toujours, — j’en étais sûr que c’était pour toujours, rien ne m’aurait alors pu faire croire le contraire. Celui-là seul qui a souffert ce que j’ai eu à supporter, moi qui au début de la vie ai dû dire adieu à mes rêves les plus aimés, celui-là seul peut comprendre l’intensité du désespoir qui me saisissait par moments. Là, tout près de moi, à deux pas des murs de ma prison, la vie continue son cours ordinaire ; et moi qui n’ai pas encore vécu, qui n’ai encore rien accompli, j’ai quitté le monde des vivants, non pour descendre dans la tombe, non pour devenir un cadavre inerte, non, j’ai gardé la conscience de moi-même, et cela rien que pour sentir toute l’horreur de ma position. Des années se passeront ainsi : mes parents, mes amis oublieront que j’existe, et moi je serai toujours enfermé ici ou dans quelque tombeau pareil, pour me souvenir, pour sentir à tout instant que je m’abrutis, que je perds tout sentiment, toute pensée humaine. Il ne me restera rien, rien que la conscience de ma disgrâce, de mon malheur !