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mais l’apparition des guichetiers, leurs injonctions paternelles, leurs conseils amicaux qui révoltaient tout mon être. Pour m’en débarrasser, force fut de me taire. Ce fut une grande privation. C’était une nécessité pour moi que de chanter, car je sentais un grand soulagement moral lorsque je pouvais exhaler ma tristesse dans une chanson. — Je me surprenais même quelquefois à sourire en fredonnant un joyeux couplet.

Après quelques mois de détention mes ongles étaient devenus très longs : ils me servirent d’amusement après qu’on m’eut défendu de chanter.

Je les faisais claquer en cadence, me ressouvenant d’une mélodie quelconque. Mais une occupation pareille pendant des journées entières me devint insipide même en prison. Ainsi, de gré ou de force, j’étais obligé à penser et à rêver. Bien que ma volonté et ma persévérance m’eussent donné le pouvoir de chasser dès l’abord toute pensée triste, cet ordre d’idées restait fortement enraciné dans les recoins de mon cerveau. Voici ce qui m’arrivait d’ordinaire : je me rappelle quelque événement de ma vie qui m’a été particulièrement agréable. Je m’y arrête avec amour ; je m’efforce d’en faire revivre les plus insignifiants détails. Mais petit à petit je me rapproche de la réalité, et tout à coup une pensée se détache nettement de toutes les autres : « Jamais, jamais cela ne se répétera plus ! » Alors je sens comme si quelque chose se brisait en moi, comme si le même poids immense me retombait sur le cœur.