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Je saute à bas de ma couchette et je regarde autour de moi. La veilleuse continue de fumer et remplit toute la cellule d’une vapeur nauséabonde. J’entends le pas cadencé de la sentinelle dans le couloir ; le calme habituel de la prison est devenu plus silencieux encore ; tout semble mort ; les ombres de la nuit se sont épaissies partout, et la flamme jaune de la veilleuse ne tremblotte et ne scintille plus au sein des ténèbres.

Ceux qui sont dehors, en liberté, dorment aussi maintenant ! me dis-je, et cette pensée me semble tellement consolante que je me recouche et m’endors le cœur allégé.

Je rêve de nouveau : je vois de profondes ténèbres où petit à petit commence à s’accentuer un scintillement verdâtre ; quelque chose de blanc ondule ; c’est une draperie en gaze… Non, non, ce n’est pas cela !… Je m’efforce de saisir ce que c’est, — un vêtement de femme ?… Non, c’est un enfant, c’est ma sœur Macha… elle est morte… elle est couchée là… morte de faim !… Cette pensée me transperce le cœur. « Ah ! que de cruauté, que de cruauté ! » Je jette ce cri avec indignation et douleur et je m’éveille à demi. J’appuie la tête contre le mur glacé, cherchant inconsciemment à rafraîchir mon cerveau en feu. Mais le pâle visage de ma sœur perdue pour moi, morte peut-être, continue à me poursuivre. La lueur verdâtre grandit, elle éclaire une face pâle, des lèvres sévèrement serrées, un front pur ombragé d’une épaisse chevelure noire et bouclée que j’aimais tant à caresser jadis… J’ai peur, je veux crier d’angoisse… « Ce sont eux, eux qui ont tout fait ! »