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Pourquoi est-ce que je pense ? Il est plus que temps de dormir. Cette veille prolongée m’est positivement nuisible. Je m’enveloppe dans la couverture, je me tourne et me retourne dans le lit, je ne pense plus à rien. Je suis terriblement fatigué. Enfin je m’endors.

Je rêve : je me vois courant à perte d’haleine dans une rue de ma ville natale ; la journée est chaude et étouffante. À chaque pas j’enfonce plus avant dans une boue noire et fétide. Ce n’est plus qu’avec des efforts inouïs que j’en retire mes pieds pour enfoncer davantage au pas suivant. Devant moi, à peu de distance, j’aperçois mon bon Ivan Stépanitsch. Je vois ses larges épaules et ses coudes qui se meuvent en cadence à chaque pas qu’il fait. Comme sa marche est rapide et puissante ! Quelquefois, quand la boue monte jusqu’au-dessus de mes genoux, je vois le beau visage de mon ami se tourner vers moi ; il me fait en silence signe de le suivre. Que de tristesse et de pitié dans ses yeux ! Pourquoi ne vient-il pas à mon secours ? Quelque chose semble nous séparer. Est-ce cette atmosphère étouffante ? Ou bien est-ce que lui aussi souffrirait autant que moi ? Une force fatale entraîne bientôt mon ami au loin, si loin que je le distingue à peine. Je fais des efforts surhumains pour m’arracher à la boue qui menace de m’engloutir, tant elle devient épaisse et profonde. Je sais que si je perds Ivan de vue, je suis irrévocablement voué à une mort cruelle. Encore un effort et je m’éveille… Une sueur froide m’inonde, mon cœur bat tumultueusement, je me sens comme un poids immense sur la poitrine, je puis à peine respirer…