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crit les incarnations successives de cette divinité, toujours prête à secourir l’humanité d’âge en âge, à la soutenir et à l’encourager dans les difficultés et les amertumes de l’existence. Il rassemble toutes les légendes relatives à ces incarnations et les lie entre elles par une suite de dialogues où des sages, des solitaires, voués à la méditation et versés dans la connaissance des traditions primitives, s’excitent à chanter les louanges du dieu qu’ils aiment. Ces sages s’interrogent, se donnent la réplique, et la poésie coule à flots de leurs lèvres. Ainsi, tous les attributs de Vichnou, considéré sous ses divers aspects de dieu, de principe créateur, de sauveur des hommes, sont décrits avec une verve soutenue. Dans cette suite de récits, de chants philosophiques et religieux, est la véritable unité de ce poëme qui s’épanouit comme un arbre immense, où chaque branche produit à son tour ses fleurs et ses fruits. À travers le réseau des légendes, on voit toujours l’idée métaphysique qui grimpe comme la liane autour du tronc ; parfois même elle fatigue les rameaux au point de les faire plier, car le poète veut tout ramener à son système. Par malheur, le système des Pourânas est le panthéisme le plus complet, le plus extravagant. Dans le Bhâgavata, Vichnou, usurpant les attributs de Brahma, est le créateur ; il se crée lui-même et se détruit ensuite, lorsqu’à la fin d’un monde, d’un âge de l’univers, toutes les créatures, réduites à néant, rentrent dans le sein de ce grand être qui est, en définitive, l’âme universelle. Le dieu du Bhâgavata est donc à la fois matière et esprit ; il est la forme extérieure des objets, le vêtement de ce que nous appelons la nature. Et cependant, l’homme, par la méditation, peut absorber son âme dans la sienne ; il doit même y tendre par une contemplation incessante, de manière à ce que les œuvres lui deviennent indifférentes. On reconnaît dans cette doctrine les principaux points de l’école bouddhiste des Svâbhâvikas, avec une nuance théiste plus accusée. Par la méditation, l’homme arrive à découvrir que l’ensemble de la création n’est pas ou qu’elle n’est qu’une illusion qui fascine nos sens. Qu’y a-t-il donc de réel ? L’âme universelle, Vichnou, ou bien Bhâgavata, ou Krichna, ou Pouroucha, l’homme considéré comme la première et la plus complète manifestation d’une intelligence servie par des organes. Voilà l’idée spiritualiste qui surgit derrière le panthéisme à demi matérialiste qu’on entrevoyait d’abord. Dans tout le Pourâna se succèdent ces éclairs de spiritualisme qui rendent plus épaisses encore les ténèbres qui les suivent. L’idée dominante du poëme entier est de faire prévaloir le culte de