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Or, on se dégourdit vite à la ville et si les voyages forment la jeunesse, ils déforment parfois le cœur et lorsque un jeune homme revient au village, il va revoir la salle des morts, le vestiaire macabre des ancêtres, il connaît les numéros de sa famille et sans penser à mal, insouciant et inconscient comme la jeunesse même, il s’écrie :

— Tiens ! le crâne de ma tante ! Eh bien elle avait une sale bouillotte, cette pauvre Octavie !

— Tiens ! les tibias de grand’maman ; on la disait légère, j’te crois, avec des flûtes pareilles ! et les plaisanteries au très gros sel continuent ainsi et je veux en faire grâce à mes lectrices par respect pour elles.

Et moi, pauvre vieux parisien soi-disant sceptique et endurci, je trouve ce spectacle lamentable et scandaleux et je ne comprends pas comment cette population suisse, si honnête, si probe, si travailleuse, permet aux prêtres de se livrer à de pareilles mascarades avec les os de leurs pauvres vieux parents, dans un seul but de lucre, dans le seul but d’arracher l’été beaucoup d’argent aux touristes et aux étrangers.

Pouah ! quel sale métier et s’il y a des gens sans scrupule qui affirment que l’argent n’a pas d’odeur, il doit cependant y avoir une limite…

Allons, braves habitants du pays des Grisons, souvenez-vous un peu de la légende biblique, du fils de Noé, couvrant la nudité de son père, ivre comme un portefaix — s’il y en avait alors — et ayez la pudeur de jeter un voile sur la nudité