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COCARDASSE ET PASSEPOIL

conduite… De fait, combien avons-nous mis à mal de ces malandrins ?

— De ces lâches qui s’attaquaient à des femmes ?… Cinq ou six, je crois…

— Ils n’étaient pas difficiles, les gaillards, et se promettaient une jolie petite fête.

— La fête n’a pas été pour eux…

— Sandiéou ! je crois que nous leur avons coupé l’herbe sous le pied…

— Et que nous la leur avons fait manger.

— Pécaïré !… je suppose qu’ils n’ont pas eu le temps d’en sentir le goût…

— Ils pourront l’engraisser à loisir, Cocardasse.

— Affaire à eux, ma caillou… Et que dis-tu de cette promenade en carrosse en compagnie des plus jolies femmes de Paris ?

— On était un peu serré dans le mien. Je crois bien me souvenir que Mlle  Cidalise et moi ne tenions qu’une place.

— Vivadiou ! c’était pareillement dans le mien. Je dirai même que c’était mieux : Mlle  Nivelle et Mlle  Fleury étaient chacune sur un de mes genoux… Oïmé !… je t’avouerai que cela me tenait chaud et me donnait très soif.

— Je ne songeais guère à boire, à ce moment.

— Amigo ! gronda sévèrement le Gascon, il est toujours le temps de boire, sachez-le ! cela ne nuit pas au reste… Mais as-tu vu comme les petites elles nous tenaient tête à souper ?

— J’avoue qu’elles étaient beaucoup plus gentilles encore qu’à sang-froid… As-tu senti comme elles avaient les lèvres fraîches, Cocardasse ?

— Té ! parce qu’elles les arrosaient souvent, ma caillou. C’est un moyen qui me réussit à moi-même, hé donc !

— Oses-tu comparer tes lèvres aux leurs ?

— Oïmé ! et pourquoi pas, mon pitchoun ?… Si Mlle  Nivelle les trouvait à son goût, vivadiou !… c’est que mon baiser il valait le sien.

— Pourtant, quand tu m’embrasses, Cocardasse, ce n’est pas du tout la même chose que quand c’est Mlle  Cidalise.

— Povero !… c’est que sa bouche a peut-être le goût de la pêche et mes moustaches celui du vin ?… À part cela, vois-tu, petit, il n’y a pas de différence.

— Si c’est ton avis, cela n’est pas du tout le mien, et tu n’es pas digne d’être embrassé par une jolie femme.

— Té !… ne nous fâchons pas… Le principal c’est que nous ayons bien bu.

— Bien aimé, veux-tu dire… Moi, je me desséchais d’amour.

— Amable, mon pitchoun, l’amour qui dessèche, il est un pauvre amour !

— Qui nous aurait dit, au bal du Régent, que les bras de ces déesses s’ouvriraient pour nous ; que nous connaîtrions le paradis sur terre ?

— Eh ! sandiéou !… Il était temps que nous arrivions, car sans nous elles auraient bien connu l’enfer… Je suis d’avis qu’elles nous redoivent encore quelque chose.

— Tu n’es jamais satisfait, Cocardasse. Si tu avais moins bu, tu aurais mieux goûté ton bonheur.

— Le bonheur ne va pas sans boire…

— Je les sauverais bien cent fois pour le même prix, moi, Amable Passepoil.

— Té !… moi de même, ma caillou !… Cela se retrouvera peut-être ?…