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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

le deuil de Mme  de Nevers, tout devait être fermé, froid comme l’était son cœur à elle.

Mais l’heure enfin venue de la résurrection, ce palais dont une veuve avait fait le tombeau de son bonheur, pouvait s’ouvrir, comme son cœur, aux reflets des joies du dehors. Aussi fut-ce bientôt un va-et-vient à travers les mornes couloirs qui retentirent d’éclats de gaîté.

Force était aux deux fiancées de se dérober aux compliments qui les assaillaient de toutes parts pour songer à la toilette qu’elles allaient revêtir et enfermées ensemble, elles restaient de longs instants à se contempler, se demandant si elles vivaient dans un rêve, ou si la réalité était là, immanente et indiscutable, de leur bonheur chèrement acheté et si proche qu’elles n’osaient pas y croire.

Gonzague ne songea pas à profiter de cette circonstance, et ce fut miracle.

En cette heure d’émoi, il eût pu pénétrer à l’hôtel de Nevers sans être inquiété par personne, les gardiens fidèles s’étant éloignés, qui pour préparer la fête, qui pour se réjouir le verre en main. Cocardasse, comme bien on pense, était de ces derniers, il avait même entraîné avec lui Jean-Marie dans l’intention de le dresser à ce nouveau sport. Pour ce qui est d’Henri et du marquis, ils étaient à parcourir la ville pour acheter à leurs fiancées de magnifiques parures.

Comme on le voit, la bande de Peyrolles eût pu pénétrer dans la place sans coup férir.

Des nuées de couturières, de bijoutiers, coiffeurs, parfumeurs, se présentèrent à l’hôtel, envoyés par le comte et le marquis. Quand ceux-ci revinrent, ils trouvèrent les deux jeunes filles parées pour l’autel, vêtues de leurs longues robes blanches, et belles comme le sont toutes, en ce jour, celles que l’amour transfigure, celles dont les lèvres ne murmurent qu’un mot, ce mot si doux même dans les langues les plus rudes.

Si les heures passaient lentement aux Tuileries, durant les longs discours du grand chancelier et de M. d’Armenonville, combien brèves elles étaient à l’hôtel de Nevers !… Et tandis que Gonzague, attendant la nuit propice, profitait des ténèbres naissantes pour guider ses roués, l’épée en main, vers les plus sombres recoins du cimetière Saint-Magloire, Lagardère et Chaverny puisaient la lumière dans les regards de celles qu’ils aimaient et, de leurs doigts habitués aux besognes de guerre, achevaient de les parer.

Un peu après cinq heures du soir, trois carrosses de la cour pénétrèrent dans la cour d’honneur.

C’était une attention du roi. La galanterie de ce prince-enfant se montrait alors beaucoup plus raffinée qu’elle ne devait l’être, une fois l’âge venu.

Mme  de Nevers monta dans le premier carrosse. Elle était toujours vêtue de noir, son deuil ne devant finir qu’avec sa vie ; mais elle portait le front haut et la tête fière, consciente d’être approuvée par celui à qui elle obéissait, même au delà de la tombe.

Aurore et Flor prirent place auprès d’elle avec le comte de Lagardère et le marquis. Les autres carrosses s’emplirent successivement de tous ceux qui, ayant été à la peine, avaient contribué au triomphe. Il n’y avait plus de rang social. Passepoil avait lui-même choisi ses compagnons de route ; il trônait entre Jacinta la Basquaise et la belle Mme  Liébault et son visage jaune s’enso-