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LE SERMENT DE LAGARDÈRE

séparait du mur et le longèrent tout au long, jusqu’à la brèche pratiquée plus loin pour laisser passer la procession des reliques de Saint-Gervais.

En cet instant, si l’on eût pu fouiller des yeux à travers le feuillage et par-dessus le mur de la Folie, on eût vu cinq hommes, l’épée nue à la main, prêts à porter secours à leur maître s’il en était besoin.

Car Gonzague se montrait à présent de la dernière audace ; l’approche d’un dénouement devenu imminent l’incitait à tout oser et à braver le danger. Délogé de l’Hôtel de Mantoue, se sentant à la fois traqué par Lagardère et par la police de M. de Machault, qui elle aussi lui avait tendu des embûches évitées avec peine, il était semblable à l’animal aux abois dont la dernière ressource est de mourir sans se défendre, ou de lutter désespérément jusqu’à l’agonie.

Aussi, agissant maintenant avec une sorte de dédain des plus élémentaires précautions, — mais en réalité avec une habileté très grande, — avait-il réintégré cette maison qui était sienne, bien persuadé qu’on le chercherait partout ailleurs avant de le supposer là.

De sa Folie, il avait entendu venir le carrosse ; il avait vu ses adversaires rentrer, dans l’église, et songé que c’était peut-être le diable qui lui envoyait ainsi Lagardère et Aurore pour les tuer au pied de l’autel.

Pouvait-il être retenu par la sainteté du lieu ? Certes non ! il n’en était plus à s’arrêter à un sacrilège. Cependant, il n’osa pas attaquer de face ses ennemis, les jugeant trop nombreux et trop braves ; sa tactique était de frapper lâchement par derrière, d’assassiner et non de se battre.

Cela lui permit toutefois de se féliciter de son choix et d’étudier les mesures à prendre à l’avenir pour la tentative suprême.

— Je ne serais pas étonné, dit-il en ricanant à ses roués, que le mariage ait lieu dans quelques jours et que ce soit là une sorte de répétition de la cérémonie prochaine… Palsambleu !… il y aura au mariage de Lagardère des témoins qu’il n’aura pas choisis !

Cette pensée d’un guet-apens décisif à organiser pour un jour prochain l’incita donc à ne rien tenter à l’heure présente. Cependant, sa témérité avait tellement besoin de se manifester par un acte quelconque qui servirait de dérivatif à son état nerveux, qu’il ne résista pas au désir de signaler au moins sa présence par une menace.

Il prit du papier, griffonna quelques mots à la hâte et sans calculer le danger, il se glissa, ainsi que nous l’avons vu, dans l’étroit passage conduisant à l’église.

Il ne voulut pas se demander combien de temps il lui faudrait pour accomplir son projet, et la pensée ne lui vint pas que Lagardère pourrait surgir tout à coup et le surprendre.

Bien à contre-cœur, Peyrolles le suivait.

Il était livide et n’eût pas plus tremblé s’il eût vu devant lui se dresser l’échafaud et la hache levée attendant pour retomber qu’il eût mis lui-même sa tête sur le billot. Il s’arrêtait à chaque pas pour prêter l’oreille, le moindre bruit venant du côté de l’église faisait passer un frisson dans ses moelles. Gonzague, au contraire, allait si vite qu’il avait peine à le suivre ; un instant il songea à le laisser s’avancer seul.

Or ce lâche entre tous les lâches avait une sorte de point d’honneur : il ne voulait pas quitter son maître. Par exemple, le motif de cet attachement eût pu paraître singulier à beaucoup et Gonzague lui-même ne se fût jamais