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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— N’avez-vous encore rien vu ?

— Rien, mon bon M. de Peyrolles… Mais à ce métier, j’aurai un enrouement avant ce soir.

— Criez moins, et regardez mieux. Moi, j’ai déjà vu trois bossus à la foire.

— Le bon y est peut-être, par exemple il faudrait savoir lequel ?… Dans tous les cas, voici qui le touche de près… Corbleu ! j’aurais juré que ces gredins étaient au fond de la Seine.

— Or, c’était de Cocardasse et de Passepoil que Nocé parlait ainsi. Les deux prévôts, suivis de leur désormais inséparable Berrichon, fendaient la foule sans se presser, en gens qui n’ont rien de mieux à faire que d’occuper leurs loisirs.

Maître Passepoil aimait assez à se fourrer au milieu de ces cohues où forcément des épaules rondes, des poitrines dodues, se frôlaient contre ses bras maigres. Il lui suffisait parfois de se retourner brusquement pour se trouver nez à nez avec un joli minois de princesse ou tout simplement de soubrette, et frère Amable ne négligeait pas ce petit jeu qui lui procurait d’agréables surprises.

Il ne caressait que très vaguement l’idée de retrouver là Mathurine : autant eût valu chercher une aiguille dans un tas de foin… Pourtant qui sait ?… le hasard est si grand !

Et ce fut un hasard, ce qui lui arriva de sentir tout à coup deux petites mains fines et potelées se poser sur ses joues pour lui boucher les yeux.

Si c’eût été des mains d’homme, maître Passepoil s’en fut vite débarrassé. Mais il ne bougea pas plus qu’un terme, savourant d’autant plus la douceur de cette caresse qu’un ravissant poignet fleurant bon se trouvait précisément à hauteur des poils trop clairsemés de ses moustaches. Belle occasion d’y mettre les lèvres, et le sensible Normand, oubliant ce qu’il y avait d’audacieux dans son action, déposa un gros baiser au creux de la main qui le privait si gentiment de la vue.

Il n’en résultat qu’un éclat de rire, Passepoil, ayant recouvré l’usage de ses yeux, s’en servit au plus tôt pour contempler ce qu’il avait devant lui.

— Quoi !… s’écria-t-il, mademoiselle Cidalise ! Deux minutes après, les prévôts étaient entourés par tout un essaim de jolies femmes dont les visages leur étaient connus et dont ils avaient gardé, d’ailleurs, le plus tendre souvenir.

Nous ne nous arrêterons pas aux exclamations de Cocardasse Junior, pas plus qu’à ses saluts et à ses gestes emphatiques. Le petit Berrichon n’y comprenait rien de rien, sinon que ses amis étaient au mieux avec de fort belles dames dont il n’eût pas osé, lui, toucher seulement le bas de la robe. Dieu sait pourtant si ses dix-sept ans lui en donnaient l’envie !

D’autres contemplaient aussi ce spectacle, mais ce n’était point du même œil.

Nocé en oubliait son prétendu patient, lequel ouvrait plus la bouche de surprise que pour la faire détériorer à nouveau ; Gonzague, de son côté, ne se montrait pas très flatté que la Fleury, qui jadis lui avait prodigué ses faveurs, fût suspendue maintenant au bras de Cocardasse.

Le pseudo-charlatan fit mine d’enduire de pommade la dent ébréchée de Peyrolles… et Peyrolles, se déclarant guéri comme par miracle, se hâta de sauter en bas de l’estrade pour rejoindre son maître.