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COCARDASSE ET PASSEPOIL

son courage, vanter sa bonté. Elle n’en parlait jamais, sinon quand elle était seule avec Flor.

Liane de Longpré apprit ainsi le rôle infernal joué par Gonzague dans toute cette histoire, depuis l’assassinat de Philippe de Lorraine, duc de Nevers, jusqu’aux événements les plus récents dont on avait connaissance.

Il semblerait qu’elle eût dû partager à son égard la haine de ses nouvelles amies, flétrir le meurtrier et qu’à son mépris pour cet homme eût dû se joindre la colère d’avoir été souillé de ses caresses.

Ce fut chez elle le premier mouvement : le second fut tout autre.

Elle était très forte en déductions maintenant, la petite baronne !… Aussi, un soir, dans la solitude de son grand lit, parmi les dentelles à peine froissées par la menue joliesse de son petit corps, à qui l’amour ne venait point, non pas sous la forme d’un homme, mais d’un être supérieur, d’un demi-dieu, elle réfléchit longtemps, longuement.

Et quand dans sa tête d’oiselle se furent heurtées la passion, l’envie, l’espoir, la jalousie, un peu de honte et beaucoup d’orgueil, Mme de Longpré planta son bras nu et fluet, coude en avant, dans le linon de ses oreillers, regarda dans le vide, vers le passé, vers le présent, vers l’avenir.

De sa main blanche, aux doigts fuselés, à travers les malines de sa toilette de nuit, elle chercha la place délicieusement arrondie sous laquelle battait son cœur, pour en comprimer les pulsations, et s’écria, comme jetant un défi à son destin :

— Mon héros !… je l’ai eu avant elles et je n’ai pas su le garder !… Il n’y en a que trois au monde : Lagardère, Chaverny et Gonzague ! De cette minute, elle n’eut plus qu’une volonté : retrouver Philippe de Mantoue et le reprendre.

— Ce n’est pas tout, songeait-elle, mon rôle ne devra pas s’arrêter à celui d’amante ; je ne me bornerai pas à donner mon cœur, mon corps… j’offrirai aussi ma vie, s’il le faut, pour sauver Gonzague de l’épée de Lagardère !…

Chez de telles natures la résolution une fois prise est irrévocable. Liane savait Aurore et doña Cruz capables de donner jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour leurs fiancés : c’était une raison pour qu’elle voulût être leur égale, puisqu’il serait, sinon le fiancé, du moins le maître.

Alors elle envisagea les conséquences de sa décision. Devenant l’alliée de Philippe de Mantoue, les ennemis de celui-ci seraient les siens. Et ces ennemis s’appelaient non seulement le comte de Lagardère et marquis de Chaverny, mais encore Aurore de Nevers et doña Cruz.

Sa conscience ne s’en émut point. Au contraire, sa duplicité triomphant la fit sourire, parce qu’elle pensait :

— N’aurai-je pas des intelligences dans la place ? Je serai à la fois le trait d’union et le trait qui sépare ; je pourrai à mon gré diriger les coups ou les écarter, exhausser ceux qui seront avec moi, briser ceux qui seront contre moi !…

Sa dernière réflexion fut celle-ci :

— Mais où sont Lagardère et Gonzague !

Du jour où Henri était retourné en Espagne, Aurore avait exhumé ses Mémoires, écrits jadis pour sa mère bien-aimée, et reprenant sa plume qui devait grincer et crier aux jours de tristesse, glisser rapide aux heures de joie, elle avait commencé par ces mots :