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COCARDASSE ET PASSEPOIL

— Pauvre ami, prononça-t-il sur un ton de pitié, ce n’est pas cela… Répète après moi… Je jure…

— Je jure…

— De ne dire à personne que j’ai vu le comte de Lagardère, de ne pas prononcer un mot qui puisse le faire supposer, surtout devant Mlle  de Nevers ou quelqu’un qui pourrait le lui répéter, et cela, tant qu’il ne m’aura pas lui-même délié de mon serment.

Cocardasse répéta mot à mot chaque membre de phrase et, quand ce fut fini, poussa un ouf ! de satisfaction. Si bavard qu’il fut, sa langue était maintenant clouée par un serment, il le tiendrait !

— Eh donc ! ma caillou, il me tarde d’être au jour pour le revoir…

— Moi de même…

Sur ce souhait, la conscience en repos, ils s’endormirent et un bruit semblable à un concert de tuyaux d’orgues ne tarda pas à troubler seul le silence.

De l’autre côté de la porte, dans le couloir, deux formes blanches et légères s’étaient tenues aux écoutes pendant tout ce dialogue. Dès que le double et sonore ronflement eut remplacé la conversation, indiquant que les prévôts étaient partis pour le pays des songes, d’un commun accord elles s’éloignèrent glissant sans bruit sur le parquet.

Cocardasse n’avait pas rêvé. Tout ce qu’il venait de dire avait été entendu.

Qui donc osait espionner jusque dans l’hôtel de la veuve de Nevers ?… Des ennemis ?… On faisait trop bonne garde autour d’Aurore de Nevers pour qu’il pût s’en glisser un seul… Alors ?

C’était doña Cruz et Jacinta.

Celle-ci avait veillé tard et regagnait sa chambre avec rapidité, mais sans faire gémir les lames du plancher, qu’effleurait à peine son pas élastique de montagnarde, lorsqu’en passant devant la chambre occupée par les maîtres d’armes, un bruit de voix vint frapper son oreille…

Surprise qu’il y eût encore quelqu’un d’éveillé, elle s’arrêta comme par instinct. Elle avait l’ouïe fine et les premiers mots du Gascon la clouèrent sur place, non point curieuse, mais anxieuse.

Il ne lui fallait pas un bien grand effort pour comprendre aussitôt de quoi il s’agissait.

Une seconde elle hésita.

Fallait-il tout entendre pour aller ensuite rapporter la conversation à Aurore, ou ne valait-il pas mieux lui donner les moyens d’entendre elle-même ?


Car, en aucun cas, elle ne voulait être seule à bénéficier du hasard qui lui révélait une chose d’une importance capitale pour sa maîtresse.

Alors, la réflexion lui ayant fait comprendre que l’émotion serait peut-être trop forte pour la jeune fille, elle gagna en deux bonds la porte de Flor, dont elle-même avait la clef.

Celle-ci dormait ; la Basquaise la réveilla doucement, lui fit signe de se lever, et, lui ayant jeté une grande mante de soie sur les épaules, l’entraîna dans le corridor en appuyant un doigt sur ses lèvres.

Elles se glissèrent ainsi jusqu’à la porte des prévôts.

Retenant leur respiration, elles écoutèrent et ne songèrent à rire, ni de l’évocation de Passepoil à Mathurine, ni du serment de Cocardasse.