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LA PEUR DES BOSSES

habitués de Crèvepanse qui étaient à leur solde attendirent le signal de foncer en avant.

Cocardasse junior les toisait avec un mépris fait de toute la confiance que lui inspirait celui qu’avec Passepoil il était le seul à avoir reconnu. En cet instant, les deux prévôts n’eussent pas sourcillé devant vingt adversaires, et s’ils ne criaient pas un nom qui en eût fait trembler à l’avance quelques-uns, c’est qu’ils avaient compris la nécessité de se taire.

Berrichon, lui, ne se doutait de rien, mais il était assoiffé de carnage. Il avait suivi de l’œil pendant un moment l’agonie d’Yves de Jugan, sa première victime, et maintenant il en cherchait dans le tas une autre qui lui convînt.

Du haut de son sommet, le petit homme regarda une dernière fois les spadassins, il laissa tomber sur eux ces mots qui retentirent comme la condamnation prononcée par le juge :

— Vils laquais d’un maître qui aura bientôt son tour, il ne vous reste plus que quelques secondes pour vous repentir de vos crimes. Le chemin de l’éternité est ouvert… passez devant !…

Dès qu’il eut prononcé ces paroles, il se trouva à terre d’un seul bond et ayant prestement ramassé la rapière de Daubri, il tomba aussitôt en garde :

— Nous voici quatre et vous êtes huit, s’écria-t-il. Que chacun de mes compagnons prenne le sien… je me charge d’accommoder les autres !

Pour le coup l’assistance trépigna. Ce petit homme prenait des proportions surprenantes.

Ce serait mentir que de taxer les spadassins de lâcheté. En présence de cet énigmatique personnage, ce n’était pas de la peur qu’ils ressentaient, mais une vague appréhension, avec la certitude d’avoir à faire à un dangereux ennemi.

Gauthier Gendry se défendait intérieurement de reconnaître Lagardère en cet original. Bien que l’indifférence pleine de rodomontade des prévôts fût pour lui la meilleure preuve qu’il ne s’abusait pas, pour ne pas perdre tout courage, il s’efforçait de douter encore, se persuadant que Cocardasse et Passepoil eussent agi tout autrement, si en lui ils eussent reconnu leur maître.

Il est dans la vie des circonstances où l’on a besoin de se donner raison à soi-même.

Quant à Blancrochet et à ses affidés, qui n’avaient jamais eu maille à partir ni avec le comte, ni avec les braves, ses compagnons ordinaires, et ne les connaissaient que de réputation, — réputation très surfaite à leur avis, — ils ne jugeaient pas utile de trembler plus qu’à l’ordinaire. Les menaces tant soit peu grotesques de cet être chétif qui s’efforçait de les braver ne pouvaient provoquer que leurs moqueries et exciter leur impatience.

Ils se mirent donc en ligne sans paraître autrement émus, bien qu’on le fût davantage dans la foule, parmi laquelle régnait le plus profond silence.

Pour la troisième fois, on entendit le cliquetis des épées. Mais l’une d’elles, à elle seule, valait toutes les autres ; ses mouvements étaient si rapides qu’on ne les distinguait qu’à de fugitifs éclairs, si redoutables qu’aussitôt les fers engagés un des bandits tomba, le front sanglant.

C’était un des deux hommes qui s’étaient joints à Blancrochet et à Gendry pour assaillir le bossu mystérieux.

Ceux-ci pâlirent quand le second fut tué de la même façon, qu’ils virent