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LA PEUR DES BOSSES

tait l’épreuve. Il marcha donc sur son interlocuteur, prêt à le corriger d’importance. Mais vouloir et pouvoir sont deux choses absolument distinctes. Le souvenir du contact récent eût dû le rendre plus circonspect.

Quand il arriva juste à l’endroit où, la seconde d’avant se tenait l’étrange petit homme, celui-ci n’y était déjà plus. Par contre, il eut la stupeur de le voir juché sur les épaules de Cocardasse, lequel se débattait comme un beau diable.

Avec ce nouvel acteur dont la faiblesse ne faisait pas de doute quand on comparait son corps malingre et déformé avec la robustesse bien découplée des autres, la tragédie semblait véritablement vouloir tourner à la farce.

Aussi les lèvres s’épanouirent-elles en un rire énorme et toutes les mains applaudirent-elles à ce tour audacieux de souplesse simienne.

Cependant le perchoir choisi par le petit homme était bien trop agité pour qu’il lui fût possible de s’y maintenir longtemps, car le Gascon se secouait à la façon d’un chien mouillé en sacrant :

— Capédébîou !… veux-tu t’en aller de là, vermine. Il n’avait pas de goût pour le métier de saint Christophe dont il ignorait d’ailleurs la légende.

Soudain, la tempête furieuse qui communiquait aux épaules du prévôt un double mouvement de tangage et de roulis s’apaisa comme par magie en même temps qu’un frémissement secouait son grand corps.

Une phrase : « J’y suis ! » murmurée tout bas à son oreille était la seule raison de son brusque changement.

— Té ! dit-il en éclatant de rire au nez de Blancrochet ; si le mignoun il trouve l’endroit de son goût, je ne vois pas pourquoi je l’empêcherais d’y rester. Je serais seulement curieux de savoir ce qu’il y vient faire…

— Ce que j’y viens faire ?… riposta son cavalier. Tout simplement un petit discours à ces messieurs, qui auront la grande obligeance de m’écouter… Soyez tranquilles, je serai bref et ne vous retarderai guère… Ce sera même tant pis pour quelques-uns.

Alors redressant son torse de façon à voir par-dessus le feutre du Gascon qui formait l’appui-main de sa tribune improvisée, il salua l’assistance et reprit d’un ton entendu :

— Voici… Vous vous battez, messieurs, et c’est fort beau de tirer l’épée quand la cause en est juste… Or, la vôtre l’est-elle ? Personne ici ne le sait, parmi tous ceux qui vous regardent faire… Peut-être faudrait-il le leur dire…

— De quoi s’occupe ce moucheron ? grommela Blancrochet.

— Eh ! eh !… Le moucheron pique quelquefois les oreilles des ânes et les ânes se mettent à braire… Il faut qu’ils se taisent pour que je puisse parler, car j’ai quelque chose de très intéressant à ajouter…

— Quoi ?… quoi ?… parle !… hurlèrent les badauds que cette scène et l’esprit du bonhomme amusaient vivement.

— Ah ! vous voulez savoir ?… et vous avez raison… Je voulais donc vous dire que parmi ceux qui tiennent leur épée dans la main, il y a des bandits… Voyons, mesdames, messieurs… Un écu blanc, le seul qui me reste, à qui devinera de quel côté sont les bandits…

Alors, élevant une pièce de monnaie entre le pouce et l’index, il promena son regard sur l’assistance.

— Personne ne veut gagner l’écu blanc ?… Allez-y, messieurs, je vais vous