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LA PEUR DES BOSSES

C’est que la coutume n’était pas encore perdue à cette époque d’aller écouter sur le fameux pont les cris des charlatans, des bateleurs, muser à l’étal des fripiers, libraires et vendeurs d’onguents et de profiter de l’inattention des badauds pour leur voler leurs manteaux et leurs bourses.

Les habitués du cabaret de Crèvepanse n’étaient pas les derniers parmi les coupe-bourses et les tire-laine qui y florissaient comme au beau temps de Louis XIII et de Louis XIV.

En cela ils suivaient l’exemple de nombre de gentilshommes besogneux qui s’en faisaient une spécialité, car bien peu avaient les scrupules du sieur d’Esternod, que la seule crainte du châtiment empêchait de le faire lui-même si on croit ces vers :

J’allais pedetentim, comme un vieillard caduque,
J’allais de rue en rue en grattant ma perruque,
Feuilletant dans mon chef de inventione,
Tirant et arrachant les poils de mon gros nez,
Songeant s’il y avait, pendant cette nuit brune,
Moyen de moyenner la moyenne fortune.
Le diable me tentait d’arracher les manteaux,
Et de tirer la laine à quelque cocardeaux,
Et j’eus touché peut-être à ces harpes modernes,
Si l’on ne m’eût cognu au brillant des lanternes,
Et si je n’eus pas craint qu’un chevalier du guet
M’eût fait faire aux prisons mon premier coup d’essai…

Ceux qui nous occupent étaient trop habiles en la matière pour avoir pareilles craintes ; aussi décampèrent-ils sans aucun murmure pour s’en aller là ou ailleurs.

Cet acte d’autorité était fait pour assurer la confiance de Gonzague et de Peyrolles à Blancrochet qui vint se rasseoir en disant :

— Vous pouvez parler comme si vous étiez chez vous ; il n’y a plus personne.

L’intendant montra cependant Caboche et ses valets :

— Celui-ci est muet par raison et par nécessité, fit le bretteur répondant à cette muette interrogation ; les autres le sont de naissance… Je vous écoute.

La conférence fut longue ; Peyrolles ne pouvant se départir de ses hypocrites façons essaya d’abord d’entrer dans des lignes générales, en faisant à chaque instant des réticences sur les détails.

— Nous ne nous entendons pas, mon gentilhomme, car la facilité d’élocution semble vous avoir été donnée surtout pour mieux cacher votre pensée… Si vous attendez de moi un dévouement absolu à votre cause, il faut parler la bouche ouverte.

Gonzague prêtait l’oreille, intéressé par cette nouvelle figure de bandit qui ne paraissait pas être le premier venu.

— Soit, fit-il, dis-lui tout. Mais n’oublie pas, toi, que ta tête me répond du secret.

Le spadassin le toisa avec hauteur :

— Si vous n’avez pas confiance, s’écria-t-il, il est encore temps de vous