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ŒUVRES DE PASTEUR

C’est ce que je répugne à croire dans l’état actuel de nos connaissances, parce que toutes les fois que l’on essaye de suivre la propriété rotatoire d’un corps dans ses dérivés, on la voit disparaître promptement. Il faut que le groupe moléculaire primitif se conserve en quelque sorte intact dans le dérivé pour que ce dernier continue d’être actif, résultat que mes recherches permettent de prévoir, puisque la propriété optique est tout entière dans une disposition dissymétrique des atomes élémentaires. Or je trouve que le groupe moléculaire de l’alcool amylique est trop distant de celui du sucre pour que, s’il en dérive, il en retienne une dissymétrie d’arrangement de ses atomes. Je le répète, ce sont là des idées préconçues. Elles suffisaient cependant pour me déterminer à étudier quelle pourrait être l’influence du ferment dans la production des deux alcools amyliques. Car on voit toujours ces alcools prendre naissance dans l’opération de la fermentation et c’était là encore une invitation de plus à persévérer dans la solution de ces questions. Je dois avouer en effet que mes recherches sont dominées depuis longtemps par cette pensée que la constitution des corps, en tant qu’on l’envisage au point de vue de sa dissymétrie ou de sa non-dissymétrie moléculaire, toutes choses égales d’ailleurs, joue un rôle considérable dans les lois les plus intimes de l’organisation des êtres vivants et intervient dans leurs propriétés physiologiques les plus cachées.

Tels ont été pour moi l’occasion et le motif d’expériences nouvelles sur les fermentations. Mais, comme il arrive souvent en pareille circonstance, mon travail s’est agrandi peu à peu et a dévié de sa première direction ; de telle sorte que les résultats que je publie aujourd’hui paraissent étrangers à mes études antérieures. La liaison se montrera plus évidente dans ceux qui suivront. J’espère pouvoir ultérieurement mettre en rapport les phénomènes de la fermentation et le caractère de dissymétrie moléculaire propre aux substances organiques[1].


II. — Historique.

L’acide lactique a été découvert par Scheele, en 1780, dans le petit-lait aigri. Son procédé pour le retirer de cette matière serait encore aujourd’hui le meilleur que l’on puisse suivre[2]. Bouillon-Lagrange et

  1. Voir PASTEUR. Mémoire sur la fermentation de l’acide tartrique. Comptes rendus de l’Académie des sciences, XLVI, 1858, p. 615-618, et p. 25-28 du présent volume. (Note de l’Édition.)
  2. Il fit réduire d’abord le petit-lait au huitième par l’évaporation. Il le filtra, le satura par la chaux pour précipiter le phosphate de chaux. La liqueur fut filtrée et délayée dans trois fois son poids d’eau ; il y versa goutte à goutte de l’acide oxalique pour précipiter toute la