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apparu pour la première fois ; j’avais mon grand uniforme, ce jour-là… Oh ! mon uniforme ! il est au croc depuis ce quantième… et Pascal, ce pauvre Pascal ! dire que je ne le verrai plus ! mon vieux camarade… sous terre, bien sûr, ou sous la neige !

MINA.

Pascal… Il n’a répondu à aucune de mes lettres.

CHAMBORD.

Pardi tu les adressais à M. Pascal, grenadier, à Puis, rue ignorée, numéro inconnu. A Paris !… Est-ce qu’il a perdu sa poudre à Paris, lui ?… il fallait lui écrire en Égypte, en Prusse, en Autriche, en Russie… c’était là le domicile des anciens comme lui, leur habitation, leur lit de camp… Mais finie la promenade, arme au bras ! rentrez chez vous, ceux qui restent… Oh ! Pascal ! Pascal ! j’étais pas là quand t’as reçu ton dernier biscayen… mais je prononce tous les soirs ton nom avant de m’endormir, comme tu as dû prononcer le mien avant de commencer ton dernier somme.

MINA.

Allons, mon pauvre homme, ne pense plus à ces choses-là, et en attendant que le baron arrive, tu vas t’asseoir, ne plus t’agiter et te bichonner un peu ; car il faut que tu aies l’air de quelque chose… Allons, je le veux. Voyez un peu, il est tout en sueur.

Elle tire son mouchoir de sa poche pour essuyer le front de Chambord, une clef y est attachée.

CHAMBORD.

Laisse-moi donc tranquille, tu me déranges le nez… tiens ! tu me caresses avec une clef !

Il s’en empare.

MINA.

Ah ! c’est à moi… donne.

CHAMBORD.

Hein ? des passe-partout inconnus !… oui, il me semble que je l’ai rencontrée plusieurs fois attachée à votre col… Madame Chambord, quéque ça ouvre ? quéque ça ferme ? hein ?

MINA.

Rends-moi cette clef !

CHAMBORD.

Je veux savoir avant…

MINA.

Chambord, cette clef m’a été remise par Wilhelmine, ma bonne maîtresse. Elle ouvre une cassette qui renferme un souvenir, un dernier adieu à une personne qu’elle m’a nommée. Voilà dix-huit années que j’attends celui auquel je dois la remettre. La cassette est cachée dans la chambre de la baronne, et, maintenant que M. Wilhelm vient habiter ce château, maintenant que ce n’est plus un enfant, je veux confier au fils le secret de la mère, lui remettre cette clef et lui nommer celui auquel il devra la donner. Me la rendras-tu, Chambord ?

CHAMBORD.

Tout de suite. Et je te soupçonnais, toi, la reine des épouses, la crème de la fidélité ! (Il l’embrasse.) La paix, ma petite femme, mon gros ange !… tu m’aimes toujours, n’est-ce pas, mon bichon ? Ah ça, je trouve la faction un peu longue. Si nous allions faire un tour dans le parc… Attends, je vas prendre men chapeau.


Scène V.

Les Mêmes, PASCAL.

Il porte l’uniforme usé des grenadiers de l’empire ; il est couvert de poussière ; un bâton à la main ; il est sans armes.

PASCAL.

Oui… c’est bien ici… j’ai tout reconnu… la grille, le parc, cet escalier… Les domestiques n’ont pas fait attention à moi ; tant mieux ! Si je pouvais la voir sans être annoncé !

MINA.

Tiens ! un étranger…

CHAMBORD.

Un uniforme de mon pays !

MINA.

Qui demandez-vous, monsieur ?

PASCAL.

La baronne de Ranspach.

MINA, à part.

La baronne ? il ne sait donc pas…

PASCAL, à part.

Comme ils me regardent !

CHAMBORD.

Grand Dieu ! est-ce que j’ai des bluettes !… il me semble… non, c’est impossible ! (S’approchant vivement.) Militaire ? militaire[1] ?

PASCAL.

Que me voulez-vous ?

CHAMBORD.

Oh ! cette voix, ce regard… tu ne me… vous ne me reconnaissez pas, militaire ?

PASCAL.

Non, monsieur.

CHAMBORD.

Mais, regardez-moi donc… là, entre les deux yeux…

PASCAL.

Attendez !…

CHAMBORD.

Mon nom… tu l’as oublié… ah ! tu le prononçais pourtant bien souvent, mon nom, à la chambrée, au bivouac, à la gamelle, au passage du Rhin !

PASCAL.

Chambord !

CHAMBORD.

Pascal !

Ils s’embrassent[2].

ENSEMBLE.
PASCAL et CHAMBORD.
Air de Rosita.
–––––––––Moment plein d’ivresse !
––––––––––Plus de tristesse,
––––––––––Mon chagrin cesse…
––––––––––Ah ! de bonheur
––––––––––Je vers’ des larmes !
––––––––––Mon frère d’armes,
–––––––––Il est là, sur mon cœur !
MINA.
–––––––––Moment plein d’ivresse !
––––––––––Plus de tristesse,
––––––––––Mon chagrin cesse…
  1. Mina, Chambord, Pascal.
  2. Chambord, Pascal, Mina.