Page:Anicet-Bourgeois et Brisebarre - Pascal et Chambord.pdf/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
FRÉDÉRIC.

Allons, Wilhelm.

LE DOMESTIQUE.

Monsieur le baron, il y a dans l’antichambre un paysan et sa femme qui désirent vous parler.

FRÉDÉRIC.

Ils se nomment ?

LE DOMESTIQUE.

M. et Mme Chambord.

FRÉDÉRIC.

Ah ! ah ! fort bien, qu’ils attendent ici… je leur donnerai audience après déjeuner… Ce Chambord exploitait, gratis, depuis dix-huit ans, votre ferme de Volbrag… ce bail inconcevable a été fait par votre mère ; c’est une erreur qu’elle a commise, et dont il profite… mais je la réparerai amplement. Je l’ai mandé, et il paiera double loyer, s’il veut un nouveau bail.

WILHELM.

Ne sommes-nous pas assez riches ?

FRÉDÉRIC.

On ne l’est jamais assez… laissez-moi soigner vos propriétés dans votre intérêt (à part) et dans celui de ma fille.

ENSEMBLE.
Air : Marche de Sard.
––––––––––Dans ce manoir,
–––––––––––Jusqu’au soir,
––––––––––––Buvons,
––––––––––––Rions,
––––––––––––Chantons !
–––––––––Avec du Champagne,
––––––––––––Fêtons
–––––––––––L’Allemagne,
–––––––––––Et trinquons,
–––––––––––De tout cœur,
–––––––––––Au bonheur
–––––––––Du nouveau seigneur.

Ils sortent.


Scène IV.

CHAMBORD, MINA, LE DOMESTIQUE.
LE DOMESTIQUE.

Vous pouvez entrer.

CHAMBORD, prenant le bras de aa femme.

Confie-moi ton bras droit, petite femme… grand alignement !… pas accéléré jusqu’au châtelain !… halte !

MINA.

Il n’y a personne.

CHAMBORD.

Néant ! rien du tout ! subtilisé ! pas plus de baron que dessus mon pouce !

LE DOMESTIQUE.

M. le baron de Spelberg déjeune, il m’a chargé de vous dire de l’attendre ici.

CHAMBORD.

Suffit !

MINA[1].

Voyons, mon homme, assieds-toi là, à côté de moi, et causons.

CHAMBORD.

Je veux pas m’asseoir, je veux pas causer ; j’ai de l’humeur ; je grogne comme un ours blanc, je marronne comme un castor… je fume comme un Allemand ; je fais la mine, la moue, la lippe… je suis très-laid, je ne veux pas me faire voir.

MINA.

Ah ! ah ! ah ! est-il drôle avec sa tristesse !

CHAMBORD.

Sans cœur, tu oses batifoler, gaudrioler, et tu veux que j’en fasse autant, que je jasotte, que je chante, que je jette mon feutre par-dessus les monumens, quand nous sommes à la veille d’être ruinés, dégommés, désarrondis !… Allons donc !

MINA.

Comme tu y vas ! ruinés ! nous ne le sommes pas encore. Ne t’inquiète pas, Chambord, ne t’inquiète pas !

CHAMBORD.

Que je ne m’inquiète pas ! en v’là du gentil ! de la constance, de la température à couvrir les abricots !… et ce papier-là, hein ! tu l’as donc oublié ?

MINA.

Oublié ? non pas ; je sais par cœur ce qu’il y a dessus.

CHAMBORD.

Un bail… criminelle invention !… deux mille florins ! plus que ça de monnaie ! quel avaloir ! et j’y déposerais mon seing, ma paraphe, ma griffe, tout l’a b c d de mon extrait de baptême ! Jamais des jamais ! je te foule aux pieds, je te déchire en vingt-sept loques !

MINA.

Un instant ! ne le déchire pas.

CHAMBORD, le foulant aux pieds.

Laisse donc tranquille, il n’est bon à rien… je ne connais que l’autre, moi, l’ancien, celui que Mme Wilhelmine a signé le jour de notre mariage. En v’là un modèle de bail ! je l’ai apporté pour le montrer au baron. Pourquoi qu’il ne le continuerait pas ? est-ce que je ne l’ai pas exécuté dans toutes ses conditions ?

Air de Julie.
––––Quand j’ai signé le bail de notre ferme,
––––Je savais bien à quoi je m’engageais,
––––Car des paiemens on avait fixé l’ terme,
––––Rien à l’avance, et rien de plus après.
––––Ma probité n’a pas d’égratignure ;
––––Si la baronn’ quittait les noirs séjours,
––––Elle pourrait dire que j’ai toujours
––––––Fait honneur à ma signature.
MINA.

Allons, tu ne t’entends pas aux affaires, mon homme, j’arrangerai ça mieux que toi. Dis donc, Chambord, te reconnais-tu ?

CHAMBORD.

Attends ; je ne me trompe pas ; c’est ici que tu m’as conquis, c’est dans cette chambre que je t’ai

  1. Chambord, Mina.