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long, s’il veut que vous contrefassiez le gueux, vous le devez faire avec toute la naïveté qui vous sera possible ; ainsi du reste. C’est votre fait de jouer bien le personnage qui vous est donné, mais de le choisir, c’est le fait d’un autre. Ayez tous les jours devant les yeux la mort et les maux qui semblent les plus insupportables et jamais vous ne penserez rien de bas, et ne désirerez rien avec excès. »

« Il montre aussi en mille manières ce que doit faire l’homme. Il veut qu’il soit humble, qu’il cache ses bonnes résolutions, surtout dans les commencements, et qu’il les accomplisse en secret : rien ne les ruine davantage que de les produire. Il ne se lasse point de répéter que toute l’étude et le désir de l’homme doit être de reconnaître la volonté de Dieu et de la suivre.

« Voilà, Monsieur, dit M. Pascal à M. de Saci, les lumières de ce grand esprit qui a si bien connu les devoirs de l’homme. J’ose dire qu’il méritoit d’être adoré, s’il avait aussi bien connu son impuissance, puisqu’il falloit être Dieu pour apprendre l’un et l’autre aux hommes. Aussi comme il étoit terre et cendre, après avoir si bien compris ce qu’on doit, voici comment il se perd dans la présomption de ce qu’on peut. Il dit que Dieu a donné à l’homme les moyens de s’acquitter de toutes ses obligations, que ces moyens sont en notre puissance ; qu’il faut chercher la félicité par les choses qui sont en notre pouvoir, puisque Dieu nous les a données à cette fin ; qu’il faut voir ce qu’il y a en nous de libre ; que les biens, la vie, l’estime ne sont pas en notre puissance, et ne mènent donc pas à Dieu, mais que l’esprit ne peut être forcé de croire ce qu’il sait être faux, ni la volonté d’aimer ce qu’elle sait qui la rend malheureuse ; que ces deux puissances sont donc libres, et que c’est par elles que nous pouvons nous rendre parfaits ; que l’homme peut par ces puissances parfaitement connaître Dieu, l’aimer, lui obéir, lui plaire, se guérir de tous ses vices acquérir toutes les vertus, se rendre saint ainsi et compagnon de Dieu. Ces principes d’une superbe diabolique le conduisent à d’autres erreurs, comme:que l’âme est une portion de la substance divine, que la douleur et la mort ne sont pas des maux ; qu’on peut se tuer quand on est si persécuté qu’on doit croire que Dieu appelle; et d’autres.

« Pour Montaigne, dont vous voulez aussi, Monsieur, que je vous parle, étant né dans un État chrétien, il fait profession de la religion catholique, et en cela il n’a rien de particulier. Mais comme il a voulu chercher quelle morale la raison devrait dicter sans la lumière de la foi, il a pris ses principes dans cette supposition ; et ainsi en considérant l’homme destitué de toute révélation, il discourt en cette sorte. Il met toutes choses dans un doute universel et si général, que ce doute s’emporte soi-même, c’est-à-dire s’il doute, et doutant même de cette dernière supposition, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos ; s’opposant également à ceux qui assurent que tout est incertain et à ceux qui assurent que tout ne l’est pas, parce qu’il ne veut rien assurer. C’est dans ce doute qui doute de soi et dans cette ignorance qui s’ignore, et qu’il appelle sa maîtresse forme, qu’est l’essence de son opinion, qu’il n’a pu exprimer par aucun terme positif.