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hors de lui-même et dans l’intime de la volonté de Dieu, dans la justice de son arrêt, dans l’ordre de sa providence, qui en est la véritable cause, sans qui il ne fût pas arrivé, par qui seul il est arrivé, et de la manière dont il est arrivé : nous adorerons dans un humble silence la hauteur impénétrable de ses secrets, nous vénérerons la sainteté de ses arrêts, nous bénirons la conduite de sa providence ; et unissant notre volonté à celle de Dieu même, nous voudrons avec lui, en lui, et pour lui, la chose qu’il a voulue en nous et pour nous de toute éternité.

Considérons-la donc de la sorte, et pratiquons cet enseignement que j’ai appris d’un grand homme dans le temps de notre plus grande affliction, qu’il n’y a de consolation qu’en la vérité seulement. Il est sans doute que Socrate et Sénèque n’ont rien de persuasif en cette occasion. Ils ont été sous l’erreur qui a aveuglé tous les hommes dans le premier : ils ont tous pris la mort comme naturelle à l’homme[1] ; et tous les discours qu’ils ont fondés sur ce faux principe sont si futiles, qu’ils ne servent qu’à montrer par leur inutilité combien l’homme en général est foible, puisque les plus hautes productions des plus grands d’entre les hommes sont si basses et si puériles. Il n’en est pas de même de Jésus-Christ, il n’en est pas ainsi des livres canoniques : la vérité y est découverte, et la consolation y est jointe aussi infailliblement qu’elle est infailliblement séparée de l’erreur.

Considérons donc la mort dans la vérité que le Saint-Esprit nous a apprise. Nous avons cet admirable avantage de connoître que véritablement et effectivement la mort est une peine du péché imposée à l’homme pour expier son crime, nécessaire à l’homme pour le purger du péché ; que c’est la seule qui peut délivrer l’âme de la concupiscence des membres, sans laquelle les saints ne viennent point dans ce monde. Nous savons que la vie, et la vie des chrétiens, est un sacrifice continuel qui ne peut être achevé que par la mort : nous savons que comme JésusChrist, étant au monde, s’est considéré et s’est offert à Dieu comme un holocauste et une véritable victime ; que sa naissance, sa vie, sa mort, sa résurrection, son ascension, et sa présence dans l’eucharistie, et sa séance éternelle à la droite, ne sont qu’un seul et unique sacrifice ; nous savons que ce qui est arrivé en Jésus-Christ, doit arriver en tous ses membres.

Considérons donc la vie comme un sacrifice ; et que les accidens de la vie ne fassent d’impression dans l’esprit des chrétiens qu’à proportion qu’ils interrompent ou qu’ils accomplissent ce sacrifice. N’appelons mal que ce qui rend la victime de Dieu victime du diable, mais appelons bien ce qui rend la victime du diable en Adam victime de Dieu ; et sur cette règle examinons la nature de la mort.

Pour cette considération, il faut recourir à la personne de Jésus-Christ ; car tout ce qui est dans les hommes est abominable, et comme Dieu ne considère les hommes que par le médiateur Jésus-Christ, les hommes aussi ne devroient regarder ni les autres ni eux-mêmes que

  1. La mort n’est pas naturelle à l’homme ; elle est la condamnation que Dieu a prononcée contre nous après la chute.