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POUR LES CURÉS DE PARIS.


gent pour plaider une cause juste, et les jurisconsultes pour donner un bon conseil ; car les premiers sont pour examiner l’affaire entre les deux parties, et les derniers ne sont que pour aider l’une des parties. Mais, lorsque l’on vend un jugement injuste, ou un témoignage faux, qui ne doivent point être vendus, quand même l’un seroit juste et que l’autre seroit véritable, on commet un bien plus grand crime en recevant cet argent, parce que c’est un crime à celui même qui le donne sans contrainte. Néanmoins celui qui a donné de l’argent pour une sentence juste, a accoutumé de le redemander en justice, parce qu’on n’a point dû lui vendre cette sentence. Mais celui qui en a donné pour en obtenir une injuste, voudroit bien aussi le redemander, s’il n’avoit honte du crime qu’il a commis en l’achetant, ou s’il n’avoit peur d’être puni. » Et en suite il ajoute : « Sunt aliæ personae inferioris loci, etc., » que cet auteur explique des juges, au lieu que saint Augustin les distingue manifestement des juges, comme nous l’avons montré. Il est difficile de voir une falsification plus hardie et plus évidente.


X. Falsification d'un passage de saint Thomas touchant l'homicide.


Il n’y a rien de plus horrible, dans la doctrine de l’apologiste et de ses défenseurs, que la permission qu‘ils donnent à tous les particuliers de tuer leur prochain sans autre autorité, sinon que leur raison naturelle leur fait juger qu’ils ont cause légitime de le tuer. Mais cela n’a pas empêché les jésuites de défendre cette doctrine, et de l’appuyer même sur l’autorité de saint Thomas dans leurs nouveaux imprimés. «  L’apologiste, disent-ils, se sent obligé d’apporter quelques preuves de sa proposition. Il la prend d’un axiome communément reçu des théologiens ; à savoir, que Jésus-Christ n’a point laissé dans le christianisme de nouveaux préceptes moraux, et n’a point décidé les cas particuliers auxquels il seroit permis ou défendu de tuer. D’où il s’ensuit que les théologiens chrétiens doivent se servir de la lumière naturelle, aidée de celle de la foi, pour les résolutions qu'ils donnent touchant l’homicide, encore qu’ils ne trouvent pas ces cas décidés dans l’Ancien ou dans le Nouveau Testament. Saint Thomas a suivi cet axiome commun (1-2 , quæst. CVIII, art. 12), et tient que Jésus-Christ n’a point laissé aux chrétiens de nouveaux préceptes moraux. » Sur quoi il cite a la marge ces paroles de saint Thomas : « aldcirco non cadunt sub prœcepto novae legis ; sed relinquuntur humano arbitrio. »

Ce discours des jésuites n`est qu’un amas de falsifications, de déguisemens et de raisonnemens absurdes. Car, premièrement, il est faux que les paroles latines qu'ils allèguent de saint Thomas regardent les préceptes moraux, et que ce saint ait jamais dit que ces préceptes moraux aient été laissés à la détermination du libre arbitre de l'homme ; mais, au contraire, ayant distingué les œuvres extérieures en deux sortes, dont les unes sont nécessaires pour acquérir ou pour conserver la grâce, comme celles qui sont commandées par les préceptes moraux, et par l’institution des sacremens ; et les autres n’ont point de liaison nécessaire avec l’acquisition ou la conservation de la grâce, comme les cérémonies