Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/144

Cette page n’a pas encore été corrigée
144
TROISIÈME ET QUATRIÈME FACTUM


porté a les accepter, a-t-il reçu de Dieu, par une révélation particulière, le droit de se faire justice à soi-même, et de voler son maitre, sous prétexte que ses gages ne sont pas égaux à ses peines ? La Sorbonne n’a-t-elle pas eu raison de dire que cette doctrine est fausse et pernicieuse, et ouvre la porte aux vols domestiques ?


VIII. Saint Augustin faussement allégué sur le même sujet des valets.


L'apologiste joint saint Augustin à saint Ambroise, pour autoriser la même doctrine du P. Bauny ; et les jésuites disent, dans leurs nouveaux imprimés, que le passage de saint Augustin cité dans l’Apologie est si clair pour cela, qu’il n’a pas besoin d'interprétation. Mais nous ferons voir aisément qu’ils avoient besoin qu’on le leur interprétât, puisqu’ils l'ont fort mal entendu.

Voici les paroles de ce Père dans sa lettre LIV à Macédonius :

« Non sane quidquid ab invito sumitur, injuriose aufertur. Nam plerique nec medico volunt reddere honorem suum, nec operario mercedem ; nec tamen hæc qui ab invito accipiunt, per injuriam acoipiunt, quan potius per injuriam non darentur. »

L’apologiste prétend que saint Augustin dit qu’un médecin qui prendroit en cachette à son malade ce que son malade n’auroit pas voulu lui payer, et qu’un artisan qui feroit la même chose à celui qui l’auroit mis en besogne, ne pécheroit point. Mais il se trompe. Saint Augustin ne parle point de prendre, mais seulement de recevoir ; et son sens est que, quoiqu’il se rencontre des personnes qui payent malgré eux ce qu’ils doivent, et qui voudroient ne pas le payer, ne le faisant que parce qu’ils y sont contraints par justice, ou parce qu’ils ont peur d’y être contraints ; ceux néanmoins qui reçoivent ce qui leur est dû ne leur font point tort en le recevant, parce que ce seroient les autres, au contraire, qui commettroient une injustice en ne le donnant pas : « Nec tamen hæc, qui ab invito accipiunt (il ne dit pas surripiunt), per injuriam accipiunt, quœ potins per injuriam non darentur. » Il suppose donc que dantur, quoique malgré ceux qui le donnent, parce qu’ils voudroient bien ne pas le donner. Et en effet il est visible que saint Augustin parle d’un cas ordinaire, et qui se rencontre souvent parmi les hommes. Or, où est-ce que les médecins ont accoutumé de dérober à leurs malades le prix de leurs peines, qu’on n’auroit pas voulu leur payer ?

Ce qui a pu tromper les jésuites est le mot de sumitur, dans le commencement de ce passage : « Non sane quidquid ab invito sumitur ; » s’étant imaginé sans doute que ce mot ne pouvoit pas convenir à celui qui prend ce qu’on lui donne, mais seulement à celui qui le prend de soi-même. Mais sans parler des auteurs profanes qui ont pris ce mot au sens que nous soutenons qu’il doit être pris dans ce passage de saint Augustin, comme lorsque Cicéron dit : «  Tu qui a Nævio vel sumpsisti multa si fateris, vel si negas surripuisti, » opposant ainsi sumere à surripere ; on ne peut pas soutenir avec la moindre apparence de raison, qu’il ne peut pas avoir ce sens dans le passage dont il s’agit ; puisqu’il s’en sert deux autres fois au même lieu le prenant toujours pour rece-