pourra devenir la servante de l’un d’entre vous ; elle le lavera, elle taillera, elle coudra ses vêtements ; elle fera le lit où il devra reposer ; voilà ce que nous savons faire, mais, avant tout, et au nom de votre Dieu, faites-nous donner à manger.
Nous ne savons ne traire, ne lancier…
Se vous volés nos vies respitier
Et vous nous faites lever et bautisier,
Bien sçait chascune servir un chevalier,
Son chief laver, ses dras coudre et taillier,
Et le lit faire où il se doit couchier.
Mais par cel Dieu que vous solés proier,
Car nous donés, s’il vous plaict, à mengier.
Voici, maintenant une autre scène, empruntée à la geste d’Auberi le Bourgoing. Deux princesses chrétiennes, Guibour, la reine de Bavière, et sa fille, la jeune Seneheut, se prennent de passion pour Auberi, en le voyant passer sous leurs fenêtres : toutes deux bientôt lui envoient de pressants messages. Nous ne voulons citer ici que la singulière querelle de la mère et de la fille. « Voyez, ma fille, dit la Reine, si vous êtes capable de juger des choses, comme cet Auberi est bien fait et bien taillé, comme il est large d’épaules et grêle par les flancs ! ne diroit-on pas que lui et son cheval ne forment qu’un. Ah ! plût à Dieu que le roi Orri fût taillé sur le même modèle ! » Seneheut, jetant alors un rire : « En vérité, ma mère, je crois que vous l’aimez. — Vous avez menti, répond la Reine, c’est vous qui avez les pires pensées. — Nous sommes, reprend Seneheut, dans une condition différente ; l’une peut faire ce qui est défendu à l’autre. Vous ne pouvez être accordée au Bourgoing, puisque vous êtes mère et mariée devant l’église à mon père ; mais moi je puis aimer sans scrupule ; je suis jeune, belle et attrayante, je puis aimer les hommes et en être aimée. C’est au Bourgoing que je veux me donner ; et s’il accepte l’amour que je lui offre, je serai plus heureuse que de la possession d’un riche trésor. »