Page:Paris, Paulin - Commentaire sur la chanson de Roland, I.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
25

une thèse que toute la subtilité du monde ne fera jamais admettre.

« Pourquoi, » se demande ensuite M. Génin, « les pères du concile de Tours ont-ils, en 813, ordonné la traduction des Écritures en langue vulgaire ? Pour la cour, les riches, les lettrés ? Non ; mais pour le peuple qui vivait et pensait au-dessous d’eux, tout en bas. C’est par le peuple, par lui seul que notre langue s’est faite : c’est pourquoi le peuple en possède si bien le génie et en conserve si bien la tradition, sans y penser. » (Pag. lix.)

Je ne veux pas me brouiller avec le peuple qui pense tout en bas, et qui conserve les bonnes traditions de langage, sans y penser ; mais j’avoue que je garde aussi quelque reconnaissance aux riches et aux gens de cour, qui ont si souvent encouragé les esprits diserts et les bons écrivains. Joinville, Ville-Hardoin, Théroulde lui-même, s’il était comme le pense M. Génin, précepteur de son métier, tous les faiseurs de chansons et de poésies légères, tous les précurseurs de Montaigne, de madame de Sévigné, de La Fontaine et de Voltaire, ont bien fait aussi quelque chose (en y pensant, il est vrai) pour la langue française. D’ailleurs, le peuple de M. Génin, est-ce celui de la halle de Paris, est-ce celui du Havre, de Quimper, de Montbéliard, de Péronne ou de Liége ? Tout cela fait du français sans y penser, mais non le même français. Lequel choisira-t-on ? Disons plutôt qu’il ne suffit pas d’être tout en bas pour obtenir le prix du bon langage sur les riches et les courtisans. J’ai dans ma vie entendu bien des paysans, et ce qu’ils m’ont paru le mieux conserver, c’est la tradition des barbarismes et des sottes phrases, comme celle-ci, par exemple, que M. Génin voudrait, dans un autre endroit, réhabiliter : Il a dit dit-i, là ! qui dit, etc., etc.

Quant à l’orthographe barbare du manuscrit d’Oxford, à l’accentuation bizarre des mots, à la dureté des vers dans le poëme, je ne fais aucune difficulté d’en convenir ; mais je ne voudrais pas, avec M. Génin, en tirer la conséquence, que dans toute la France on suivît le même accent, on respectât la même orthographe. Voyez en effet le danger de conséquences aussi rigoureuses : au lieu du texte d’Oxford, supposez que M. Michel nous eût révélé le texte de la bibliothèque de Venise, M. Génin ne s’en serait-il pas emparé comme il a fait de celui d’Oxford ? n’aurait-il pas alors reconnu dans cette leçon le modèle du langage français au douzième, et même au onzième siècle ? Et si l’on découvre plus tard une