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l’examiner un temps qui pourrait être mieux employé. Chacun de ceux qui viendraient à l’ouvrir en ferait aisément justice ; on rirait de la curiosité des prétentions, de la singularité des paradoxes ; on serait désarmé. Mais il en est tout autrement. Le livre a été tiré à grand nombre, aux frais de l’État, qui sans doute éprouvait vivement le besoin d’encourager le pauvre chef de division. Tous les journalistes l’ont reçu, et ces messieurs, de leur nature peu compétents en pareilles matières, ont déjà grandement loué, par un juste sentiment de reconnaissance, le haut fonctionnaire qui avait bien voulu les honorer de ses largesses. De la meilleure foi du monde, ils applaudiront aux assertions de l’éditeur : M. Génin seul aura vu clair dans les ténébreux commencements de la langue française et c’est uniquement pour faire bonne et sommaire justice qu’il n’aura pas même prononcé le nom de ceux qui avaient avant lui résolu les questions qu’il a réellement fort embrouillées. Ainsi, le plagiaire recueillera le fruit de son ingratitude, et les couronnes de l’Institut, refusées à des savants plus modestes, ceindront le large front de M. François Génin. Non, la critique littéraire ne pouvait se rendre complice d’une telle charlatanerie ; et M. Génin, en savourant à longs traits le seul plaisir auquel il ait jamais paru sensible, celui de mordre, a dû s’attendre aux représailles de ceux qu’il avait insolemment provoqués. Qu’il soit homme d’esprit, on le reconnaît en général, et je n’ai pas la moindre envie de le contester ; il en a même donné plus d’une preuve dans cette fâcheuse édition de la Chanson de Roland. Mais pour une œuvre d’érudition philologique, l’esprit, qui ne gâte rien, ne saurait pourtant suppléer à l’étude, à la réflexion. Il faut que l’imagination accepte la règle du goût ; et que la bonne foi se charge de faire équitablement la part de ceux dont la science et les travaux sont mis à contribution. M. Génin ne pouvait comprendre de pareils devoirs car son mérite, après tout, se réduit à celui de bon insulteur public. Il a conquis à ce métier la réputation de terreur dont il jouit depuis longues années. Ôtez-lui les ressources de l’invective, il n’évitera le plagiat que pour tomber dans l’impuissance. Je me souviens qu’un jour il voulut composer un opéra, paroles et musique ; rien que cela. Devinez ce qu’après avoir longtemps ruminé, notre homme parvint à mettre au monde : les paroles, il les prit à Sedaine ; la musique, il oublia de la faire et se contenta du récitatif. Il avait inventé cet opéra comme il vient d’inventer le