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LE THÉATRE D’HIER.

sont plus si plaisants. Et du même coup l’observation d’Émile Augier plonge si profondément et oppose avec une telle probité les arguments contraires, que nous sommes tentés de nous demander : « Qui a tort ? Qui a raison ? Celui qui écoute son cœur ? ou celui qui parle d’expérience ? » et qu’à entendre ces paralogismes modernes et utilitaires sur le ménage, on doute pendant quelques secondes de la simple nature, et de la société qui nous en fait douter. Oh ! l’anxieuse morale qu’on nous a faite ! Est-il rien de plus déchirant que cette confession d’une mère à son fils, cet aveu des petits calculs où s’use la passion, des menus désespoirs où aboutit un mariage d’amour ?

Ton père un jour rentra plus froid qu’à l’ordinaire,
Et d’un air singulier regardant mes habits :
« Prends donc plus soin de toi, me dit-il, tu vieillis. »
Il venait d’entrevoir riche, heureuse et soignée,
La femme qu’autrefois il avait dédaignée[1].

C’est la raison convaincante et révoltante. Qui des deux suit le bien, de cette mère, jadis jeune, elle aussi, enthousiaste, épanouie à l’amour, et que les soucis mesquins, les triviales angoisses du ménage ont fanée et desséchée ; qui était un caractère au sens le plus moral du mot, aujourd’hui assombri, effrité au contact des mœurs nouvelles ; dont l’attitude, à la fois ambitieuse et humble, est l’image même de cette société qui l’a ainsi pétrie comme de cire et rapetissée ; — ou de ce fils, que brisent ces lamentables conseils, parce qu’il est entamé déjà par les exigences de la vie sociale, contre lesquelles à peine a-t-il commencé à lutter ; qui sort de cette scène amoindri et plus fort, je veux dire mieux fortifié contre les affections naturelles, qui sont autant d’empêchements à parvenir ? Encore une fois, la vérité est-elle du côté de la raison ? Et ne saisissons-nous pas la portée du regard d’Émile Augier et la me-

  1. La Jeuneue.