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HENRY BECQUE.

têter ; le second de se décourager. « Ignorance, incapacité, emportement, voilà les femmes », observe Teissier qui les guette, et qui s’y connaît. « Moi vivante, on ne touchera pas à la fabrique. » — « Il y a une loi » — « Moi vivante… » Et de colère en désillusion, de désillusion en désespérance, les choses vont ainsi jusqu’à liquidation complète, que les corbeaux, d’humeur plus égale et plus opiniâtre, poursuivent méthodiquement et définitivement, l’associé Teissier avec le notaire Bourdon, et Bourdon avec Teissier, hommes d’affaires.

Ce n’était pas une banale audace que d’échafauder une pièce sur le doit et avoir et de tabler sur l’éloquence des chiffres. Rappelez-vous que de difficultés on fît jadis pour accepter les comptes de Mme Durieu[1], et les reports et les déports de Jean Giraud. Encore l’arithmétique ne servait-elle là que d’un discret accompagnement. Elle est ici le pivot du drame, c’est-à-dire qu’il n’y a point de place pour la fantaisie et qu’une observation superficielle ou timide eût été impuissante. Derrière ces questions d’intérêts il y avait des esprits à fouiller et des cœurs à sonder.

M. Bourdon ne finasse pas comme maitre Guérin : c’est un notaire de Paris, fin, très fin, mais qui s’expose quelquefois. Il est moderne. Les confrères disent qu’il l’est beaucoup. Teissier n’est pas seulement un avare ; il est aussi un célibataire égoïste, qui concilie ses passions avec ses intérêts, ou plutôt qui a dressé un mur d’airain entre ceci et cela, sans abdiquer rien. En vérité, c’est plaisir de les voir manœuvrer parallèlement. Bourdon s’est oublié jusqu’à prendre feu contre l’architecte, qui veut bâtir, démasque les menées, et devient gênant. Teissier intervient sans bruit, reconduit Lefort, l’endoctrine, l’embauche et tranche le différend. Comme Bourdon s’en étonne, et garde le souvenir de certaines piqûres :

  1. La Question d’argent. Voir, en particulier, l’article de J.-J. Weiss. Le Théâtre et let mœurs, p. 145.