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LE THÉÂTRE D’HIER.

s’engage dans un régiment pour suivre une voie toute tracée ; quant aux filles, elles seront… ce qu’elles pourront. Vigneron semait à pleines poignes les désillusions avec l’argent aisément gagné ; il ne laisse après lui que des cœurs en déroute et un intérieur en désarroi.

Voilà donc quatre femmes, dont l’une fiancée, et qui ne se mariera pas, puisqu’elle n’a plus de dot, que M. Becque livre en proie aux hommes d’affaires. Quelques jours se passent, on pleure, et la liquidation commence. Il y a là des scènes d’une vérité poignante. Il vous est arrivé, à l’ouverture de la chasse, de relever par la plaine une compagnie de perdrix, poursuivies, traquées, épavées dès l’aube ; elles se coulent, se ramassent, piétant le long d’un sillon, la tête inquiète, l’oreille au vent, le cou allongé, tremblantes, serrées et irrésolues ; et, à mesure qu’elles reprennent l’essor parmi la fusillade, elles sont plus lasses, plus indécises, plus résignées au coup qui les attend ; c’est proprement le tableau de la famille Vigneron. Ah ! qu’il y a là des scènes vues, et des traits rencontrés ! D’abord cette pauvre mère, qui en est encore à pleurer son malheur, après huit jours, et qui, au premier choc, se révolte fiévreusement, et fait sauter les paperasses de ce brigand de Teissier, qui la regarde s’emporter et regimber. D’autant que ces emportements ne servent de rien, et qu’après avoir fait feu des quatre pieds, il faut subir le joug. Et elles le subissent, toutes ensemble, et que de fois elles se consultent pour le subir enfin ! — M. Teissier, l’associé. — Je dois avertir mes filles. — Maître Bourdon, notaire. — Permettez-moi de consulter mes enfants. — Il faut vendre les terrains. — Causons un peu, mes filles. — Il faut vendre l’usine. — Notre situation est grave, mes chéries : nous n’en parlerons jamais assez. — Elles en parlent, elles en disputent, elles se répètent, elles ne décident rien. Elles y mettent du sentiment, de la probité, leur cœur et leurs nerfs. Il s’agit bien de tout cela. Leur premier mouvement est de s’en-