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HENRY BECQUE.

l’ivrognerie pour le remède à tous les maux, et l’amour pour quelque chose, quiproquo, quiproquo. Ah ! cette façon d’envisager la passion n’est ni classique, ni romantique, certes : mais elle est dramatique, et d’une observation âpre. Et puis, la morale qui s’en dégage, si elle n’est point folâtre, est du moins assez édifiante et originale, outre qu’elle imprime au cœur des hommes le sentiment aigu de leur imbécillité, avec une nuance d’humilité contrite, dont les femmes peuvent être fières et qui leur donne bien du prestige. Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles !

Le temps des intrépides croyances et des gestes farouches est passé. Les successeurs d’Antony n’ont plus cette foi superbe, qui renverse toutes les barrières pour satisfaire et célébrer l’idéale passion. Ils sont moins sûrs d’eux-mêmes ; ils croient à l’objet de leur fantaisie ; mais ils n’ont plus l’entrain triomphant et romanesque. Au fond, ils ont hérité de l’égoïsme d’Arnolphe, beaucoup plus que de l’enthousiasme d’Antony. Arthur et Alfred[1] se soucient de l’idéal médiocrement ; ils veulent du confort, avec quelques satisfactions d’amour-propre, et cela suffit à leur donner les illusions de l’amour. Et puis, ils pensent être aimés, vraiment, pour eux-mêmes. Ici commence la méprise. Leur vanité est en jeu, parfois égratignée ; ils en souffrent ; et cette souffrance leur parait le propre signe de la passion véritable ; du moment que quelque chose les gêne, cette gêne est de la passion, n’est-il pas vrai ? Et de ce sentiment imaginaire ils se créent des droits, qu’ils prétendent imposer. Autre mécompte. Ils ont débuté par les seconds rôles, où ils étaient caressés, choyés, en de charmants intermèdes, toujours trop courts, et cela pouvait durer quelque temps ainsi. Ils en veulent aux grands premiers rôles ; il leur faut toute la scène ; ils y mettent le prix, au besoin ; il accaparent la félicité

  1. La Navette.