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LE THÉÂTRE D’HIER.

de pénétration et de crânerie, vous aussi, moi aussi, nous sommes un peu bêtes avec les femmes ; parce que l’amour est fait de privations, d’imaginations, d’illusions, et que les illusions sûr une femme, « cela ressemble aux rhumatismes dont on ne se défait jamais complètement. »

Et voyez ce qui résulte de cette vue, et le parti qu’en peut tirer un esprit observateur, aidé d’un tempérament dramatique. Donc, dans la vie moderne, l’amour n’est le plus souvent qu’une illusion, et notre rhumatisme une maladie imaginaire. Il est pour nous comme s’il était, et non plus parce qu’il est. Et, comme s’il était, nous prenons pour lui ce qui n’est pas lui, nous en exigeons tout le contraire de ce qu’il nous peut donner, et voilà notre irrémédiable jobarderie, notre délicieuse bêtise. Ce qu’il y a de piquant, c’est notre acharnement à vouloir être malades, nos poses, nos attitudes, nos contorsions, nos révoltes suivies de langueurs, et la conviction que nous y mettons, et l’orgueil et la dignité que nous y apportons. Et le meilleur de tout, c’est qu’à force de soigner, de traîner des rhumatismes de fantaisie, un beau jour ils deviennent véritables, aigus et chroniques. À force de passer brusquement du chaud au froid et inversement, nous avons pris froid, alors que nous croyions être commodément au chaud. Erreur sur la température, illusion, quiproquo. Et c’est justement le moderne quiproquo de l’amour, le drame rajeuni, le théâtre renouvelé ; quiproquo d’autant plus ridicule dans ses conséquences qu’il est mieux expliqué à l’origine ; quiproquos consentis, passionnés, ou tièdes, triste et réjouissante comédie, qui repose non plus sur un fait indéfini et primordial, mais sur les différentes formes et humeurs qu’affecte la précieuse et stupéfiante bêtise de nos contemporains ! Prendre des châtaignes pour des oranges, quiproquo ; Antonia pour une fille honnête, quiproquo ; un gentleman d’écurie pour un gentilhomme, quiproquo ; Hélène pour une fille chaste,