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HENRY BECQUE.

teneur, grâce à la gaité qui y règne et à l’esprit qui y fourmille. Cette rare qualité fait passer les faiblesses de la comédie, et la relève au dénoûment. Il semblait indiqué, nécessaire, ce denoûment et d’une simplicité biblique. Théodore, pris aux charmes de Clarisse, veut l’épouser, cela va de soi ; mais le père n’entend pas de cette oreille, coupe les vivres, ramène le pécheur à Montélimart, où il le mariera, comme s’est marié Delaunay, à moins que l’enfant prodigue ne demeure à Paris pour philosopher, à l’exemple de Chevillard. L’auteur s’en est tiré plus joliment, Bernardin, qui vient chercher son fils, débarque chez madame de la Richaudière, alias Clarisse pour Théodore, alias Amanda, l’ancienne Amanda de Delaunay. Tout Montélimart se retrouve chez Amanda, tout Montélimart dans le grand monde : le baron Bernardin, le vicomte Delaunay, la princesse Valentino, tout le personnel de la Cagnotte, toute la Ferté-sous-Jouarre éparse dans les salons de M. Cocarel. Or, cette trouvaille finale sauve la pièce, qui se termine par un éclat de rire.

« Les femmes, écoute-moi ça, Théodore, les femmes, c’est comme les photographies : il y a un imbécile qui conserve précieusement le cliché, pendant que les gens d’esprit se partagent les épreuves. »

Le mot est de Chevillard ; il est drôle, pas trop lugubre, et cela est bien ainsi.

Quand on lit aujourd’hui les deux volumes de M. Becque, cette œuvre ressemble assez à une aventure de jeunesse, à une amusante équipée, une escapade spirituelle. L auteur s’est amendé depuis, à grand effort ; il s’est guéri de la fantaisie, de la bouffonnerie, de la bonne humeur ; mais il n’a pu se défaire entièrement de cet esprit naturel et primesautier, qu’il méprise peut-être à présent. Or, bien lui en a pris d’avoir un jour, sans trop de façons, esquissé le bonhomme Bernardin et le bohème Chevillard, sempiternels phraseurs et discoureurs ridicules. Il y a acquis le tour de main, et