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HENRY BECQUE.

de défi. Cette continuelle intervention est désobligeante, surtout au théâtre. Ce culte personnel nuit à la connaissance d’autrui. Il étouffe l’imagination, force l’esprit, exagère les tendances, exaspère l’humeur du dramatiste, et rebute le public, qui ne s’attache pas longtemps aux hommes trop sûrs de leur fait, à ces lutteurs de profession qui étalent leurs doubles muscles avec une superbe juvénile et persistante. Cela prépare une vie de combat, sans triomphe certain. Les athlètes vieillis sont comme des écoliers trop âgés. Il est une heure où un homme tel que M. Becque doit être un maître incontesté. Pour le devenir, il ne lui fallait qu’un peu plus d’impersonnalité résignée à écrire des chefs-d’œuvre d’observation, sans prétention, quelque chose comme de la vaillance plus discrète. Son existence de combat impose le respect. Elle ne lui a pas conquis l’admiration qu’il mériterait à plus d’un égard. La foule le connaît à peine ; les lettrés le discutent ; ses caudataires le compromettent avec fureur.

Oh ! qu’on ne nous dise plus, de grâce, que les plus épris de vérité et de réalité sont précisément discutés sans fin, pour être trop sincères et vrais. Il y a beau temps que M. Émile Zola est populaire, et que même ses plus irréconciliables ennemis, ceux qui répugnent davantage à ses audaces, rendent justice à son talent et s’inclinent devant l’opiniâtreté de son labeur. Il est vrai que M. Zola a su s’élever au-dessus de ses polémiques de jeunesse, dominer son œuvre et la réalité même (au point qu’il passe désormais pour un épique, ce naturaliste), et creuser consciencieusement son sillon, au lieu de s’immobiliser et de se figer, boudeur et provocateur, dans les haines et les engoûments des débuts. Il a renoncé, à peu près, aux exercices préparatoires et de parade, qui étonnent le bourgeois : ses forces n’en ont été que plus assouplies. Or je ne pense pas que M. Henry Becque, qui, au lieu d’accumuler de belles œuvres, dont il était très capable, s’obstinait,