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LE THÉÂTRE D’HIER.

« Non, je ne vous ai pas fait l’injure de vous apporter ici les restes d’un amour prodigué aux pieds d’une autre. »

Ses images, qui sont le plus souvent vives, ne manquent pas parfois d’imprévu.

« Tu me fais l’effet d’un corsaire qui veut devenir confiseur. Tu vides tes barils de poudre pour y verser du sirop… »

En revanche, il prend son bien où il le trouve, et utilise sans fausse honte les clichés qui ont déjà servi. Il promène le « char conjugal » sur le chemin battu du couplet sentimental ; et nous savons, pour l’avoir étudié plus haut, de quels agréments de forme il rehausse une morale sans prétention. Et il est vrai que son imagination ne se pique pas d’une originalité à rebours.

Mais il possède le style de son métier, haché, rapide, haletant, saccadé, tout en formules, en répliques, en tirades, en litanies ; inachevé, quand il convient, déclamatoire à propos, larmoyant à point nommé ; qui éclate en apostrophes ; qui se marie au trémolo, qui souligne tous les jeux de scène, qui ne néglige aucun des accessoires.

« Travaille, forçat !… » — « Ah ! Dieu, oui !» — « Ah ! Dieu, non ! » — « Je coupe consciencieusement tous les feuillets… Henri ! Mais en tête de chaque chapitre… Henri ! Tous les personnages… Henri !… Tous les mots… Henri ! Henri ! Henri !… »

C’est un semis de points suspensifs et exclamatifs, où germe le pathétique, où fleurit la gaité.

Sous ces membres épars de phrases fragmentaires se devine le flonflon vibrant et articulé du comédien. L’incidente rit ou sanglote dans un mouvement réglé à l’avance. Tout cela relevé de digressions piquantes, d’apologues spirituels, de prières et de confessions émouvantes, qui résolument s’enchâssent dans le moule classique de la tirade. C’est une joie aisée pour l’oreille, un régal pour la sensibilité. Tout cela est ajusté, agencé, machiné ; cela porte, et passe la rampe, comme on dit,