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VICTORIEN SARDOU.

« Vous faites de l’opposition. » — « Oh ! on commence toujours par là. » — « Mais enfin vous avez des principes. » — « Si j’en ai, Monsieur le maire, j’en ai à choisir. »

Sa fantaisie, partout agissante, et toujours en peine de combler le vide débordant des cinq actes, se contente trop souvent de la quantité. De ces nécessaires défaillances elle paye ses aptitudes au vaudeville et à la caricature.

« Le moment est solennel, déclame un Parisien en villégiature… Les campagnes manquent de bras. La terre nourrice voit ses enfants déserter le labeur des champs pour l’industrie forcenée de la capitale. C’est aux Parisiens à corriger le mal et à profiter de la belle saison pour reboiser les forêts, dessécher les marais, fertiliser les landes (les landes de Ville-d’Avray), et retremper la nature dans leur sein en se retrempant eux-mêmes dans le sein de la nature. »

C’est le coq-à-l’âne de Labiche, moins épanoui et inconscient. M. Sardou a de la verve ; il a toute sorte d’esprit, hormis l’esprit de sacrifice.

Son imagination fait merveille dans l’écriture pittoresque et imagée. Il brosse adroitement son style, comme ses décors. Je n’affirmerais pas que ses peintures fussent toujours enlevées en pleine pâte, ni sa poésie d’une originalité saisissante, ni ses analyses psychologiques d’une nouveauté rare, ni ses métaphores exactes et scrupuleuses. Il enlumine volontiers ; la chromolithographie ne lui inspire pas de dédain ; le lac bleu, la fête des étoiles lui sont des thèmes à variations agréables, et dont il est assuré qu’elles feront impression sur le grand public. Il se plait à ce qui réussit, sans fausse délicatesse. Il ne raffine ni sur la sensation, ni sur l’expression.

« Je ne l’attends plus avec la même impatience, dit une femme un peu lasse. Cette inquiétude, quand il tardait un peu ! Cette émotion si douce au bruit de sa voiture, au son de sa voix, au son de ses pas… »

Il soigne son effet, et ne fait pas sa phrase. Il a des euphémismes très concrets et très exquis.