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LE THÉÂTRE D’HIER.

cela, la pièce n’est plus possible. De le faire déclamer, il est aisé ; céder, je vous en défie. J’ai tort. Il ne faut pas défier M. Sardou. Sa malicieuse fantaisie se plait aux surprises qu’elle nous réserve ; elle s’intrigue ; elle s’évertue ; tant et si bien que Rochat, de répliques en couplets, et de fil en aiguille, use le caractère qu’il faisait mine d’avoir, et parmi ce tissu d’inventions scéniques égrène ses plus inébranlables convictions. Il ira au temple, la nuit ; il ira, le jour ; il ira en famille, en procession, en pèlerinage, as you like it. Il renonce à la popularité ; il répudie ses doctrines : anathème ! Et, finalement, il est répudié par sa femme, second Bidache, tumultueux nigaud. Qui donc nous disait que ce Rochat était un rocher, c’est-à-dire ferme en son propos et inébranlable en ses idées ? Bidache ne daigne, Monaco ne puis. Pour malmener le libre-penseur, M. Sardou escamote le caractère. Le tour est joué : mais on voit la ficelle.

D’ailleurs la partie n’est pas égale. Si Rochat tourne au politique de tréteaux, miss Léa a du mélodrame dans le sang. Cette Anglaise-Américaine n’est pas sans analogie avec Séraphine, à l’âge près, et à la différence de la complexion, qui est plus froide. Ne faut-il pas bien qu’elle ait la tête et le cœur assez libres pour courber le fier Sicambre ? Il est vrai qu’elle se prosterne, qu’elle parle d’amour, d’ivresse et de bonheur : elle a la clé et le geste du vocabulaire passionné. Elle chante sa romance. « Les étoiles nous regardent, le lac est bleu, l’air est plein de parfums, tout s’est mis en fête pour fêter notre nuit de noces… Viens donc, viens-tu ?… » Tout à l’heure. Car voici qu’elle repousse Satan, même humilié, même mortifié. Elle chante son cantique. Au reste sèche et insidieuse, avec sa coquetterie offensive, Célimène de l’armée du Salut. À mesure que la pièce se développe, le traître apparaît davantage en elle. Chacune de ses victoires est douce à sa foi, et indifférente à son cœur, tant qu’enfin, ayant obtenu toutes les capitulations,