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LE THÉÂTRE D’HIER.

L’imagination est parfois mauvaise conseillère. Elle tire vanité de son industrie ; elle se pique aux jeux d’adresse. Elle est une jolie femme, d’humeur facile, aux allures indépendantes, qui se plait à coqueter avec le bon sens. Ce sûr instinct des situations, qui est la caractéristique du talent de M. Sardou, est sans cesse faussé par cette maîtresse d’erreur. Faute de matière plus solide, et manque de discipline intellectuelle, il traîne en longueur les scènes amenées avec adresse. Il les tourne et retourne avec plus d’agilité quede logique. Il ne va pas droit au but ; le plus souvent il s’y achemine en fourrageant. Il multiplie les tableaux, les effets et les transitions, avant d’attraper le coup de théâtre. La folle du logis fait l’école buissonnière ; elle use le temps à marauder parmi les digressions, les demi-scènes, les quasi-développements, sur les lisières du vaudeville ou du mélodrame. Malgré la rapidité du mouvement, les actes s’espacent, à la fois compacts et vides. Il en veut à la ligne brisée. Et, après qu’il s’est amusé au décor du premier acte, attardé à l’exposition du second, ingénié aux complications du troisième, il semble d’ordinaire qu’un mot suffise à brusquer le dénoûment. Un mot, un seul mot mettrait fin à ces aventures.

Alors, seulement, le quiproquo prend consistance. Alors la fantaisie de l’auteur se complique et, le plus souvent, tourne au noir. Il faut faire un quatrième acte, et peut-être y coudre un cinquième. Alors, les personnages se battent les flancs, et par raisonnements quintessenciés et monologues sophistiqués se persuadent qu’ils ont tous les devoirs de se taire, de ravaler le mot de l’énigme, par un effort d’héroïsme, et dans un esprit de sacrifice, la pièce ne pouvant se terminer si vite. Ils sont impudents de scrupules ; ils s’escriment à la casuistique avec une méritoire impertinence. Dans Nos bons Villageois, Henri est surpris, de nuit, chez le baron. Aime-t-il Pauline ou Geneviève ? Nous avons constaté combien il est hésitant sur ce point. Si Geneviève, — qui est la sœur de