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LE THÉÂTRE D’HIER.

qui ne sera jamais pleine, et demeurera victorieuse dans la maison. Et, par-dessus le marché, c’est un tableau de genre, dans le ton de la pièce.

Drame ou comédie — quand M. Sardou tient une situation, personne n’en exécute la scène ou les scènes avec une pareille sûreté de main. Il vous prend dans les imperceptibles filets de son imagination, et vous êtes son prisonnier pendant tout le temps qu’il lui plaît de tirer d’un événement comique ou dramatique les conséquences les plus neuves et inattendues. Il ne vous lâche que baigné de larmes ou exténué de rire. Trouvez-moi un autre homme qui soit capable de tenir toute une salle en joie par l’effet de calculs arithmétiques, de l’abstraite arithmétique. Nommez-en un autre qui, ayant l’audace de revenir à la charge et de refaire la même scène au cours d’une même pièce, gagne derechef une partie déjà risquée, et s’arrange de façon que la seconde soit encore plus amusante que la première, que le tableau se complète et s’achève, avec, dans un coin, ce bout d’enfant qui plonge dans le coffre-fort de papa[1]. En est-il un seul, parmi plus grands que lui, qui excelle au même point que lui, à extraire, par une savante économie des effets, toute l’émotion qu’une péripétie comporte, à multiplier la scène par la scène jusqu’au moment où le spectateur s’avoue vaincu et délicieusement épuisé ?

En faut-il un exemple ? Dans la Commode de Victorine, Labiche imagine les préliminaires d’un duel, où les témoins, alléchés par le plaisir d’un spectacle nouveau pour eux, repoussent à l’envi toute conciliation. Labiche vous enlève ce dialogue avec esprit et belle humeur. D’une scène M. Sardou en fait trois. Gandin ? Gredin ? Ou Dandin ? Il faut qu’il s’explique, ce monsieur. S’il ne fait pas d’excuses, il aura affaire… à Caussade. Tous les intimes rivalisent d’amical empres-

  1. La Famille Benoîton.