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VICTORIEN SARDOU.

une maîtresse femme enfin. Arsinoé dévote et mère, — et si peu mère ! Les événements se précipitent. Yvonne n’a point de vocation. Le père revient ; tout le passé, qu’elle a hâte de rayer de sa vie, se dresse devant Séraphine, qui brusque le dénoûment et brutalise sa fille. La situation est poignante. Yvonne supplie, câline, éplorée, éperdue ; Séraphine gronde, menace, caresse, supplie à son tour, abuse d’aveux naïfs qu’elle a sollicités, tyrannise, condamne, et mure à jamais « tant d’innocence unie à tant de beauté » — Ah ! vous écrivez et recevez des lettres clandestines !… Et vous jugez votre mère encore !… « Vous rentrerez au couvent ce soir ; je suis votre mère, et je le veux. » Il parait bien que la scène, exécutée de main d’ouvrier, nous ravit vers le mélodrame, que dame Séraphine, avec sa bigoterie déchaînée, tourne au rôle de traître, et que, malgré sa ferveur toute chrétienne, elle semble les mauvaises femmes de d’Ennery. Et cela ne nous déplaît point, à nous qui conservons encore, dans le secret du cœur, une nuance d’irréparable chagrin, et la légère meurtrissure de certaines insinuantes et impérieuses douceurs, de quelque amène et indiscrète autorité, qui force parfois le mystère de l’âme, déchire le voile des candeurs, trouble l’instinctif et pur idéal de justice et d’indépendance qui éclaire d’une si douce lumière l’intérieur des tout petits, pour les prosterner rudement à deux genoux, les mains jointes, devant l’autel d’un Dieu vengeur et aigri…

Et je me dis : « Enfin M. Sardou a percé les apparences ; il a pénétré plus avant que le décor, le costume, les litanies et le flux des mots. Et celle-ci est peut-être une femme, pour laquelle il n’a ni indulgence ni admiration, en dépit de cette physionomie austère et onctueuse, et malgré le masque d’une liturgique bonté. Enfin, voici une créature qui n’est plus au gré des événements, et qui, au contraire, les dirige et les domine d’une certaine hauteur, où elle a situé son âme. »