Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
MEILHAC ET HALÉVY.

plaisante, mais le laissent entendre. D’où ils tirent de jolies scènes, dans lesquelles les conventions du vocabulaire galant se rajeunissent d’argot ; d’où ils empruntent des types lestement pris en leur mesure, d’une ironie pratique, piquée comme un colifichet à la mode à tout bout de phrase, et d’une sensibilité très émoussée par l’esprit, et presque véritablement nulle. C’est, encore un coup, le charme subtil de ces comédies et de ces caractères, qui se complique ou se gâte d’une certaine impuissance à exprimer le sentiment vrai.

La Petite Marquise est peut-être le chef-d’œuvre des comédies de mœurs de MM. Meilhac et Halévy. Là toutes leurs qualités de verve, d’esprit, d’imprévu, d’observation acérée, de pensée indulgente et de morale pratique, se sont précieusement confondues. Le sujet même est le fond de leur opinion douce aux aimables ennuyées, qui signent leurs pattes de mouche d’une innocente formule : « Ta petite femme du monde qui t’aime bien. » L’ouvrage encore est aristocratique par un nouveau ridicule du mari, qui n’est ni gourmand, ni jaloux, ni congestionné, ni soupçonneux, mais érudit[1]. Cet homme se distrait des félicités du mariage par contenter son goût pour les études romanes. Et ce travers inélégant est fait pour étonner et réjouir nos sporstmen. Que dire de Boisgommeux ? Qu’il a des bois et qu’il est gommeux, et que ses compagnons de baccarat le reconnaissent, et que c’est bien lui, et que c’est bien eux. C’est elle aussi, oh ! que c’est elle, la petite marquise, avec son horreur du mariage inspirée par le timbre de voix du mari ! Sujet, situations, personnages, tout y est d’une modernité très spéciale.

Le nœud même de l’intrigue, l’introduction de la concubine dans le domicile conjugal, et le jeu de l’amour

  1. Cf. Le Monde où l’on s’ennuie ; —L’Âge ingrat d’Édouard Pailleron.