Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
331
MEILHAC ET HALÉVY.

MM. Meilhac et Halévy. Je n’écrirai pas qu’ils sont des petits-fils de Voltaire, n’ayant nul dessein de contrister M. Halévy. Mais il est véritable qu’un souffle de tolérance a effleuré leur œuvre commune. Je ne les rattacherai pas davantage à cette littérature galante, qui prit ses plus intimes ébats dans la seconde moitié du xviiie siècle, et dont Charles Monselet se pourléchait avec gourmandise : pourquoi suspecter M. Meilhac ? Mais il est manifeste qu’un démon, qui fait le bon apôtre, s’est insinué parmi les froufrous de leur théâtre, et que, dans les soudaines et décentes envolées du dialogue, il imprime aux plus blasés la petite secousse, qui est une friandise.

À la vérité, ils procèdent de Labiche, comme j’ai dit ; mais ils opèrent sur le domaine de M. Pailleron. Leur observation est plus aiguë que chez le premier, moins émue que chez le second. À mesure que le champ de la vision se restreint, après Émile Augier, Alexandre Dumas fils, Édouard Pailleron, on est insensiblement conduit à y mettre plus d’esprit. Et sous l’esprit plus délié se devine l’imperceptible détachement, qui n’est pas encore l’humeur morose, mais qui n’est déjà plus la belle humeur. C’est de l’humour, à la française. Le comique est plus acéré, moins sympathique aux hommes et aux choses. Il trahit une indulgence sagace et un peu indifférente aussi. Il semble que tout ce qui dépasse cette mesure soit un pédantisme. Aussi MM. Meilhac et Halévy ont-ils étudié le monde, les hommes du monde, la vie de Paris, les mœurs des quelques centaines d’« inerties distinguées », sur lesquelles le théâtre contemporain s’obstine à nous faire entendre que Paris et la France ont les yeux. Et avec une modestie, peut-être excessive, ils se sont cantonnés dans un coin de cette réduction de la société ; ils ont étudié un certain monde dans le monde, un monde mitoyen et limitrophe ; ils nous ont produit quelque chose comme l’image