Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
327
MEILHAC ET HALÉVY.

mortel et vulnérable par quelque endroit. « Si Dieu a fait l’homme à son image, disait Voltaire, l’homme le lui a rendu. »

Et Dieu s’en est vengé. Car l’humaine beauté est périssable : les héros d’Homère le savent. Ils connaissent le jour et les circonstances de leur mort marquée par le Destin. Et c’est une des plus touchantes émotions de cette antique épopée, que l’exacte prescience du terme où doivent s’échouer beauté, puissance et gloire, qui à l’ombre de ce sentiment se voilent d’une vague tristesse. C’est la Fatalité, à qui rien n’échappe, qui précipite toutes les grandeurs : la rude consolation des humbles, qui remplira de terreur le théâtre d’Eschyle. Elle plane sur l’œuvre d’Homère ; elle met au cœur de ses héros une mélancolie résignée, dont ils se dégourdissent par l’action. Elle est l’inflexible loi des destinées incomprises et acceptées. Elle est une douceur qui humanise l’héroïque figure d’Achille, et la douloureuse rédemption d’Hélène aux bras blancs, la plus belle des femmes…

 Ah ! malheureuses que nous sommes,
 Beauté, fatal présent des cieux !
 Il faut lutter contre les hommes ;
 Il faut lutter contre les dieux…
Dis-moi, Vénus, quel plaisir trouves-tu
À faire ainsi cascader ma vertu ?…


Ainsi chante la belle Hélène de MM. Meilhac et Halévy, une petite mariée cascadeuse, qui a bien du montant. Elle est gentille, et elle n’en peut mais ; mariée, et il n’était que temps ; cocotte, parce qu’elle est la fille d’un oiseau : et tout cela par la fatalité. Et voilà justement la transposition. Je n’affirme pas que l’art consiste en ce que la belle Hélène « a mal tourné », comme il est dit en cette œuvre rare ; mais plutôt dans l’esprit qu’elle dépense à entraîner tout un cortège d’idées, de croyances, de mœurs et de fantaisies très poétiques dans son évolution très moderne.