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EUGÈNE LABICHE.

de lisière. Et comme je ne vois point que le caractère se développe, ni que le jeune homme change de cravate ; comme, d’autre part, j’aperçois nettement qu’il gesticule, se démène, grimpe sur les fauteuils, monte à l’échelle avec des mines de jouer à cache-cache, ou au chat perché ; et comme, aussi, j’en ris de bon cœur, au point d’oublier le peu qu’il est pour l’hygiène qu’il s’impose et l’agilité qu’il déploie, — j’en arrive à croire qu’il est parce qu’il se meut, qu’il existe parce qu’il remue, qu’il prend des apparences de réalité parce qu’il se donne beaucoup de mouvement, et que c’est enfin le mouvement qui prouve l’existence d’Edgard et qui prête vie à ce fluet fantoche préalablement cravaté.

Mais tous ne seraient que des clowns pétulants, si Labiche n’y avait ajouté quelque chose. Et, en effet il y a mis quelque chose, qui est l’esprit, l’esprit clair, naturel, inconscient bon enfant, un peu niais, quand il le faut, et jamais lugubre ni raffiné, certes. Esprit vieillot, disent quelques modernistes, qui n’ont pas assez de dédains pour cette impersonnalité féconde de la verve et de la fantaisie ; esprit au kilog, qui ne rebute ni le calembour ni le coq-à-l’âne[1].

Labiche n’a pas l’esprit de M. Becque : cela est assuré. Ce n’est pas lui qui se travaille à être amer et compliqué, qui affecte la plaisanterie saignante ou d’un pince-sans-rire, qui s’exerce à un certain besoin laborieux et stérile de buriner chaque réplique et d’y sculpter en exergue sa signature, qui se pique d’être suggestif, ou de tailler à même « dans les intimités sanglantes de la vie » ; mais ce n’est pas lui non plus qui a gâté son talent et tari son imagination par cette

  1. Ce n’est pas à dire que Labiche n’ait parfois dépassé la mesure. Je ne me pâme pas à « Cléopâtre qui s’est poignardée… avec un aspic » — ni « aux tigres, ces reptiles, qui viennent déposer leurs œufs dans le nid des colombes. » C’est parfois du Paul de Kock, épaissi et enniaisé.