Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/356

Cette page a été validée par deux contributeurs.
296
LE THÉÂTRE D’HIER.

et dont ni la formule ni les procédés ne nous échappent entièrement. Mon Dieu, que j’aurais aimé à voir Despréaux aux prises avec cette logique-là !…

Joignez la plus folle innovation de Labiche, qu’il n’a recueillie ni du Mariage de Figaro ni de Scribe, la plus impertinente et désordonnée ordonnance de ses vrais chefs-d’œuvre, de ceux du moins qui sont plus véritablement à lui, où l’imagination se meut à l’aise, se démène, en bras de chemise, pour ainsi dire, comme les personnages, tournant, retournant, bouleversant, bousculant, chavirant et reliant d’un fil assez subtil tous les procédés que j’ai essayé de démêler, prenant de l’espace, au grand air, à la promenade, et se donnant libre carrière dans une sorte d’intrigue que j’appellerais volontiers circulatoire.

Le jour où il fit représenter le Chapeau de paille d’Italie, il créait un genre : c’était son Cid, à lui. Ce genre consiste essentiellement à choisir un sujet sans exigences, et qui ne soit point gênant à l’essor de l’imaginative, au besoin à l’escamoter manifestement, jusqu’à la fin, avec assez d’adresse pour avoir l’air de courir après. Alors, la pièce prend tout de suite son allure, l’allure dévergondée, et galope d’emblée, comme s’il y avait un but à atteindre. Où courez-vous, bonnes gens ? Là-bas, assez loin d’ici, par le monde, à travers les arrondissements de Paris, et peut-être dans la banlieue. C’est la comœdia motoria des anciens, le type en est à jamais perdu. Les accidents, les mécomptes, les rencontres et le reste se suivent et se précipitent furieusement ; c’est le plus fantasque périple de Charybde en Scylla, tant qu’enfin lasse, épuisée, abrutie d’acte en acte, l’aventureuse caravane attrape le terme de son odyssée. Tous les incidents y sont de mise, toutes les drôleries y sont de jeu ; c’est de l’imagination débridée, à la course, à la queue-leu-leu ; Fadinard à la recherche du chapeau, la noce à la recherche de Fadinard, et les huit fiacres,