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LE THÉATRE D’HIER.

« Quand on est timide, voyez-vous, on est comme enfermé en soi, et tout ce qu’fait pour en sortir vous y enferme davantage ; on pâlit pour rien, on rougit pour tout ; si l’on parle, votre voix vous effraie ; si l’on se tait, votre silence vous fait peur… Et l’on se désole, et l’on se dit : « Mon Dieu, quel malheur ! Il ne me connaît pas, il ne me connaîtra jamais : il me trouve insignifiante, stupide, et c’est ma faute. C’est lui qui a raison, c’est lui… lui ou elle selon la personne. »

Il y a là une prodigalité de talent ; et, comme si l’analyse n’en était pas déjà charmante, le défaut se résume en un trait, qui se glisse à la fin de la phrase, et qui est l’obsession même de ce malaise moral si joliment décrit. M. Pailleron s’engage avec une prudence et un plaisir infinis dans ces mystères de psychologie enfantine. Il n’hésite pas à montrer comment l’amour a pu naître dans ces cœurs naïfs et troublés. Il y revient à plusieurs reprises, dans les Faux Ménages d’abord, un peu gêné par le rythme du vers, qui précise trop les contours ondoyants de ses impressions fugitives ; et ici encore, il y porte une main légère et assurée.

« Mais je ne le savais pas, moi, Clotilde ; comment aurais-je pu m’en douter ? Il avait l’air de me détester aussi. Il était si méchant ! Parfois, je me disais : « Je pense trop à lui. Qu’est-ce que j’ai donc à penser à lui, comme ça ? » Mais comme c’était toujours tristement, cela ne m’éclairait pas, au contraire. Et puis, c’est un peu ta faute aussi. À chaque instant, tu me parlais de lui pour me consoler, tu m’en disais tant de bien !… et qu’il était bon, et qu’il m’aimait au fond, et qu’il était au-dessus des autres hommes par le cœur, par… Alors, moi, tu comprends… J’ai cru que peut-être tu avais l’idée, tu voulais… bien… que, enfin, il m’avait semblé… Mais non, non, ce n’est pas ta faute ! Je l’ai aimé toute seule. Et bien avant, dès le couvent, toujours ! Je le vois bien maintenant… toujours ! »


Elle n’a rien su, et elle savait tout ; elle n’a rien dit, et elle a tout avoué, par à peu près. Mais qui ne voit que ces à peu près sont la précision même, le charme un peu réaliste des jeunes filles qu’a créées M. Pailleron, et du style qu’il s’est laborieusement fait pour les peindre ?