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LE THÉATRE D’HIER.

pait assurément : car Antoinette[1] en suivrait dix et vingt, sans trop s’égarer dans ce labyrinthe. Elle traduit son sentiment au hasard de ses impressions, qui vont grand train. « Quoi donc ? » — « Des noisettes. » — « Et vous, auriez-vous aimé cela ? » — « Mais quoi donc ? » — « Mais la comédie… Ah ! ah ! ah ! C’est vrai, je dis toujours trente-six choses en même temps ; aussi, quelquefois, je me perds, vous savez, cela s’embrouille… Ah ! ah ! » Mais elle se retrouve toujours, ou à peu près, dans ses raisonnements ; seulement, la ligne en est un peu brisée ; elle aussi, en veut à l’oblique. N’est-ce pas la faute de son chien, qui interrompt et entortille ses propos, et de son rire, ce rire clair et haché, qui scande ses phrases à l’octave d’en haut, pendant que Bob les accompagne dans le médium ? C’est une gamine enfin, mais qui s’entend à mettre de l’ordre dans ses sentiments, et vous dresse le bilan de son cœur avec beaucoup de sang-froid et de décision. Elle distingue du premier coup qu’elle n’aime point M. Gillet, et qu’elle aimerait bien M. Raoul, et que son inclination se rencontre avec celle de sa marraine, qui ne s’en doute guère, qui la brusque, et qu’elle pardonne en se sacrifiant. Est-ce encore de l’enfantillage ? Et de quelle dextérité fait preuve l’auteur, qui parvient à mettre en scène toutes ces nuances, et dont les doigts courent sur ce clavier sans une fausse note ni une touche hasardeuse !

Il semble même que M. Pailleron se joue des difficultés, à mesure qu’il observe les jeunes filles davantage. Suzanne, du Monde où l’on s’ennuie, est encore plus fuyante et compliquée. « Il ne faut pas longtemps à une gamine pour passer fille », dit la duchesse, qui s’y connaît ; et l’auteur, qui s’y entend aussi, a essayé de fixer l’heure de la métamorphose, le moment de la fleur qui vient. Les impressions se

  1. L’Étincelle.