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ÉDOUARD PAILLERON.

en sybarite, des menus avantages de la concurrence. Pour lui on improvise les sauteries, les dîners sur l’herbe, on est aux petits soins, on raffine sur les petits plats. On ne lui jette pas Geneviève dans les bras, oh ! non, mais on recommande à Geneviève de prendre le bras de M. Lahirel. Et qu’en dit la jeune fille ? Elle obéit, et souffre en son intime délicatesse de ces manèges qu’excuse l’intention maternelle, mais qui froissent son amour-propre. À ce prix, le mariage lui semble trop cher payé. Elle a le cœur tout gros, tout humilié, tout courroucé ; et elle prend son courage à deux mains, comme on dit, pour s’en ouvrir à M. Lahirel, dans une scène de premier ordre, où il n’y a pas une tirade, pas une phrase, pas un lambeau de phrase achevé, avec des mots introuvés, qui s’emmêlent et s’échappent à gros bouillons, à petits coups d’une colère inoffensive.

Or, tout cela n’est pas fait pour éclaircir la psychologie complexe et confuse de la jeune fille.

« Qu’est-ce qui se passe là ? Mystère. Regardez-la, regardez ce sphinx blanc et rose, encore enfant, déjà femme, avec ces cheveux encore fous sur ce front déjà pensif, cette bouche encore muette aux lèvres déjà entr’ouvertes, ces yeux où rien ne se voit, mais où tout se reflète, c’est la jeunesse qui s’ignore, s’écoute, et attend[1]. »


C’est aussi l’heure indécise d’un état d’âme enveloppé, l’instant à peine saisissable, où le sentiment poind et se dégage en sa forme naturelle des impressions rapides et vagues de l’enfance ; tout de même qu’il y a pour l’artiste une minute imperceptible, où des contours dégrossis jaillit d’ensemble, avec l’harmonie de la ligue, l’œuvre longtemps rêvée et quelquefois entrevue parmi les tâtonnements du ciseau ; ce n’est pas encore la statue qui respire, et déjà ce n’est plus la raideur de l’ébauche. Il y a un point de mys-

  1. La Souris.