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ALEXANDRE DUMAS FILS.

santés apparences. Alors, la phrase, caressée d’une douce lumière, est sinueuse et plastique.

« Quand, même sans être peintre, en voyant passer une femme, il vous semble que d’un seul coup de crayon vous pourriez tracer sa silhouette, depuis le pompon de son chapeau jusqu’à la queue de sa robe, cette femme a la ligne. Qu’elle marche, qu’elle s’arrête, qu’elle rie, qu’elle pleure, qu’elle mange, qu’elle dorme, elle est toujours, sans y tâcher, dans les exigences du dessin. Surgit-il un coup de vent, comme nous en avons ici sur la plage, tandis que les autres femmes se sauvent, s’assoient, se serrent les unes contre les autres, mettent leurs mains tout autour d’elles avec des mouvements ridicules et dans des attitudes grotesques, — elle, continue son chemin, sans faire un pas plus vite qu’un autre. Le vent furieux l’enveloppe, fait flotter sa jupe en avant, en arrière, à droite, à gauche, elle va toujours, elle n’a rien à craindre Ce qui est choc pour les autres est caresse pour elle, ce qui est plat devient rond, ce qui était douteux devient positif ; on est certain que les pieds sont petits et que les jambes sont belles, voilà tout : ce sont des femmes dont on peut devenir amoureux fou à cent pas de distance, d’un bout à l’autre d’une rue, sans avoir vu leur visage. Terribles créatures pour le commun des hommes, car elles savent leur puissance, et si vous laisses tomber votre cœur sur leur chemin, elles marchent tranquillement dessus, pour ne pas déranger la ligne. »

In cauda venenum… Pendant que je m’attarde à définir le style dramatique de M. Alexandre Dumas, j’ai pensé oublier la qualité dominante, qui rehausse les autres, qui étonne, qui effraie, qui éblouit, et qui plaît. Et c’est l’esprit. Son dialogue est étincelant. On cite ses mots, on colporte ses aphorismes : le nombre de gens spirituels et réputés pour tels, de chroniqueurs parisiens et patentés, dont il a défrayé la verve et qui le démarquent quotidiennement, n’est plus à dire, et il vaut mieux s’en taire. Le superflu des riches est la richesse des pauvres. Il a d’ailleurs une estampille qui dénonce les emprunts. C’est de l’esprit de théâtre, et de son théâtre. Ses mots détachés ne sont jamais vides : il y manque pourtant quelque chose. Même ses saillies d’auteur sont des saillies de la pièce, inséparables de l’idée qui la domine ou propres au caractère qu’elles com-