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ALEXANDRE DUMAS FILS.

la mort doucement, au sein d’une famille désolée qui ne vivait que pour son bonheur. Et cela est bien ainsi, puisque les gens heureux le sont de naissance et par une mystérieuse prédestination, surtout quand ils se gardent de gâcher leur béatitude par les faiblesses du cœur, l’esprit de sacrifice, le détachement et l’oubli de soi. Lovelace est bien mort, à présent, et vive M. Prudhomme ! Et à la bonne heure : car s’il est vrai que le comique de qualité supérieure consiste en la secrète contradiction qui est au fond de nous tous, et dans l’inconsciente manifestation des travers, des ridicules ou des vices que nous portons en nous, Cygneroi est un type de haute comédie, à la fois séduisant et trivial, élégant et plat, distingué et banal, et niais et sec et confiant en soi : mortel chéri des dieux et des femmes, qui témoigne hautement en faveur d’une Providence.

Nous touchons au terme de cette vivante galerie, et nous sommes dans le coin réservé aux Aristes. Car il faut bien qu’un peu de sagesse ou de vertu relative, un grain de bon sens apparaisse quelque part en ce spectacle de nos vices. Il était facile à M. Alexandre Dumas de choisir, pour nous guider à travers notre époque, des hommes d’un autre âge, philosophes par politique ou par ennui, des censeurs vieillis qui tombent aisément dans le ridicule d’être fâcheux. Sachons-lui gré de n’avoir pas cédé à la tentation. D’autres sont moins scrupuleux. Mais notre auteur, qui est un homme de théâtre, sait trop que ces stoïciens sont toujours froids et un peu cadavres sur la scène. Il a trop le don de la vie et de l’observation pour recourir à ces revenants qui moralisent, et dont la foule s’amuse volontiers. À ces types vivants il a opposé une demi-sagesse, qui est un mérite rare et moderne, imbue du vieil honneur, mais imprégnée aussi de toutes nos élégances. Il a créé des Philintes d’actualité, capables d’un dévoûment où ils goûtent quelque charme, y trouvant l’estime de soi et la preuve flatteuse qu’ils