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ALEXANDRE DUMAS FILS.

encore plus novice que lui. Il n’a pas la fibre maternelle très sensible. Que voulez-vous ? Il n’a jamais eu l’occasion de donner en amour : il a le cœur paresseux. Or, cette enfant le gêne. Il n’a pas le courage d’avouer sa faute ; il ne l’aura jamais. « Je vous le répète, si la femme que je vais épouser apprenait la vérité avant le mariage, le mariage serait rompu, et il faut que ce mariage se fasse ; et, si elle l’apprenait après, la vie serait un enfer. Elle est jalouse, même du passé. » Car elle le croit pur : ne lui a-t-il pas soupiré qu’il n’avait jamais aimé ? Et, pour une fois, il n’a pas menti, n’ayant jamais aimé que lui-même. Il faut donc que ce mariage se fasse ; et, comme l’enfant est un obstacle, il faut qu’elle disparaisse ; il la ramène chez le père… chez la mère, veux-je dire, qui relèvera, qui s’en arrangera comme elle pourra. Pourquoi avoir surpris son innocence ? Pourquoi l’avoir trop aimé, sans ménagement ? Mais la mère est maintenant mariée. Elle contera une histoire au mari. Si elle se révolte, il escompte l’effet d’un certain sourire, un peu haut et vainqueur, qui l’apaisera comme autrefois. D’ailleurs, elle aime sa fille, elle est établie, elle ; l’avenir de l’enfant chez elle est assuré. Est-il juste que la faute partagée retombe sur lui seul, l’arrête au seuil de la fortune, et que pour s’être laissé aimer, il végète dans la demi-aisance, qui est la gêne pour sa coquetterie et sa beauté ? Oui, après avoir manqué son beau mariage, le type devait s’encanailler. Mais M. Dumas l’a saisi au point décisif de sa carrière ; il a révélé avec une amère ironie tout ce qu’il y a de féminin, de sensuel et d’avisé dans ce personnage, qui, ayant compris la femme moderne toute-puissante et fragile, s’est mis en tête d’être femme à son tour, d’intervertir les rôles, et de déposséder la déesse en la possédant, avec mêmes armes et ruses. Les grands dramaturges rencontrent un ou deux types qui sont l’expression exacte d’une époque, et dont le nom ne meurt plus : Molière a créé Tartufe ; Augier a peint Poirier ;