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LE THÉATRE D’HIER.

puissance féminine, elle reproche assez justement au comte de l’avoir méconnue, puisqu’il n’a point su la conquérir, elle n’a, pour elle, aucun reproche à se faire, elle n’y songe même point, et sa bonne foi est entière ; il ne lui vient même pas à l’esprit de se demander si elle a fait effort pour être aimée, si, jeune et inexpérimentée, elle a daigné se servir de quelques-unes de ces ruses instinctives et irrésistibles dont la femme nait pourvue. Aphrodite, elle-même, quand elle descendait sur la terre pour donner un instant de bonheur au mortel qu’elle avait distingué, prenait beaucoup sur soi, la bonne déesse, et employait les philtres et multipliait les séductions. Mais Aphrodite était de ce temps-là, et Diane est du sien. Il faut voir le détachement avec lequel elle dit au comte : « Comment se fait-il que m’épousant, moi, qui étais jeune, sans volonté, sans parti pris, (sans parti pris n’est-il pas délicieux ?) moi, qui ne demandais qu’à subir l’influence d’un honnête homme, vous n’ayez pas employé toutes vos qualités à vous faire aimer de moi ? » Peut-être, après tout, eût-elle condescendu, la jeune fille sans parti pris, à être aimée de lui. L’important, en cette affaire, est que, par essence, elle mérite l’amour, sans se croire un instant obligée d’y tâcher dans l’état de mariage. Elle n’y a fait aucune avance ; elle n’a consenti aucun sacrifice ; il ne paraît point que l’idée même lui en soit venue ; et il est vrai que, par une logique très détournée, elle en consentira beaucoup d’autres, sans qu’il lui en coûte, pour courir après la passion vraie, celle d’un amant, qui n’est pas le mari, et dont elle craindra de toute son âme qu’il ne lui échappe. Ennuyée, incomprise, illogique ; un grain de raison, un atome de bon sens, cherchez-les dans ce caractère pourtant opiniâtre, qui est l’ébauche de la femme moderne, telle que M. Dumas l’a révélée au théâtre.

Mais la comtesse de Lys n’était pas encore entièrement dégagée de l’influence romantique ; et vous direz